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Lettre à une absente 1/5

Publié le par modimodi

BAL CONF

Nevermore

" Souvenir, souvenir, que me veux-tu... ? " dit, Paul Verlaine dans Nevermore.

Comment retenir le temps qui passe et ne rien perdre, à l'automne de sa vie ou de ses amours ? Ma chère et tendre, peut-on tout conserver, nos expériences, nos pensées et nos illusions, jusqu'à croire que nous pouvons tout imprimer sur le disque dur de notre mémoire et tout stocker dans notre énigmatique boîte noire ?

Faute d'esprit capable d'une telle prouesse, nous nous en tenons à la lettre. Quelque note à benêt, prise au pied de la lettre, renvoie ainsi l'homme à son origine. De pense-bête en aide-mémoire, il est défini homo sapiens, animal pensant ou donnant, laissant à penser. Mais il a beau s'en préoccuper, il ne sait pas absorber toute l'information. Il a déchiffré toute sa carte du génome, mais pas encore sa fourmillante carte neuronale.

Il pourrait lancer, comme le poète à La Petite Jehanne De France,

" A quoi bon me documenter

Je m'abandonne

Aux sursauts de ma mémoire. " (Prose du transsibérien. Blaise Cendrars)

Mais il ne veut pas renoncer, il veut connaître le grand big bang et pas le grand big bug ! Alors, il passe allègrement de l'ordinaire à l'ordinateur. A la table des matières, le programme affiche aux méninges, son menu. Tous ses souvenirs sont sur la carte : mémoire ! Ne lui cherchez plus des poux dans la tête puisqu'il cherche des puces à l'oreille ou dans sa mémoire.

Oubliés les jeux antiques, aujourd'hui, le discobole lance le disque dur. Robotique, télématique, informatique sont les faits de l'histoire en tiques. La nouvelle religion a son cantique du Quantique.

Pas d'oublis ni d'omissions ! Rien ne se perd, tout se crée et reste secret. Il n'y a plus de mémoire courte. Elle s'affiche à l'écran. Le monde est son mémento. Chacun est un code d'accès, prototype de l'espèce numen. La carte du tendre est perforée, l'amour y a fait son trou. L'homme peut encore perdre ses dents et des occasions de se taire mais il ne peut plus perdre ses souvenirs !

S'adapter pour la forme ou prendre le temps de mourir ! Sur la touche, escape ! Répéter ou être effacé, sans recommencer, répliquer ou dupliquer et pouvoir faire une dernière « reset » à la vie ! Et ce, sans trêve, sans espace et sans pause, voilà notre humaine condition ! ...

" Et pourtant, j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. "

J'ai souvent l'humeur du Spleen, de Charles Baudelaire. Et la vie me surprend souvent, pensif, flottant dans le nuage ouaté de la mélancolie. Parfois pourtant, au hasard des circonstances et des rencontres, chez le poète et moi :

" Un vieux souvenir sonne à plein souffle du cor ! " (Le cygne.)

...Amie, amour, amante ! Hasard ou bazar !... Quand je veux t'évoquer, voilà que ma mémoire sonne l'hallali... Dans un sursaut de vie, un son, un cri, un souffle éveillent en moi, ta présence aux abois ! Alors, je n'ai plus peur de t'oublier. Tu as laissé ta trace. Tu t'es imprimée dans mes mots et mes textes avec tous les errants, croisés en mes parcours de vie et de chances d'aimer. Ô vous, phrases jetées, vous, visages entrevus, pourquoi m'êtes-vous rendus ?

" Les souvenirs sont cors de chasse

Dont meurt le bruit parmi le vent " (Alcools) G Apollinaire.

Fourbus et traqués, pourquoi m'êtes-vous revenus ? Faut-il marcher, piétiner ou courir après les heures à jamais envolées ? Il me souvient, t’en souviens-tu ?...

" Le temps s'en va, ma Dame, las le temps ! non, mais nous nous en allons. "

Fuite du temps, des "Amours de Marie", je suis à toi, comme ce tendre Ronsard !

Oublieux depuis tout petit, ma tête est un promenoir, pour idées en balade. Je déambule sans cesse, parmi les ombres en désordre, pantins désarticulés, agités, sautillants et pressés. Prévert m'a reconnu, je suis "le cancre", l'oublieux aux mille rappels à l'ordre :

" Répétez, dit le maître "

A l'école, il m'a fallu apprendre et réciter par cœur. Aujourd'hui, l'infarctus me guette, je ne retiens plus que par mon cœur ! Holà, esprit es-tu las ? Te tiens-tu près du ruisseau ou de sa source ? Reposeras-tu comme A de Lamartine, dans ce "Vallon", dernier asile de "lumière et d'ombrage" ?

" J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;

Je viens chercher vivant le calme du Léthé.

Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie :

L'oubli seul désormais est ma félicité "

Sûrement le privilège et le caprice du poète ! Mais peut-on vraiment être et avoir Léthé !

Commenter cet article

P
Je pense que notre mémoire a une capacité que l'on peut difficilement évaluer et imaginer.<br /> Il suffit parfois d'un évènement pour faire resurgir quelque chose qu'on pensait avoir oublié.<br /> Elle se construit et s'entretient tout au long de notre vie.<br /> <br /> On parle beaucoup cette année du devoir de mémoire.<br /> Sur le plan historique, c'est vrai que c'est un devoir de transmettre aux nouvelles générations tout ce qui s'est passé et qui définit ce que nous sommes aujourd'hui. <br /> Encore faut-il le faire avec le plus d'objectivité possible, ce qui n'est pas toujours une tâche facile.
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J
Vaste question que celle du devoir et de la mémoire et du devoir de mémoire! Encore faut-il en avoir le sens et l'objectivité!<br /> Merci pénélope d'ouvrir en moi une si vaste réflexion!
J
Merci Morgane! Pas de danger que je vous oublie. La mémoire du cœur est la seule qui chez moi, soit fidèle!
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M
OUBLIER .......c'est la crainte de tout un chacun....mais pas vous, ou pas encore, oublier les auteurs cités.....ils ne vivent que par notre mémoire.......quel chagrin de ne plus se rappeler !!!! et quel bonheur de se dire &quot;Je me souviens.....&quot;<br /> Encore une belle oeuvre dont on se souviendra ...! Merci !
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