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Enfance : La cafetière et le moulin à café 2/2

Publié le par modimodi

 CONF 4

Aujourd'hui, avec les capsules, les dosettes à insérer dans la machine à café, vous ne percevez plus l'odeur d'arabica au moment du pressage. Vous humez uniquement pendant le filtrage ou le service en tasse.

Le progrès a privé les dégustateurs de leur odorat pour privilégier le goût. C'est ainsi, qu'on les fait voyager en vantant la typicité des cafés de pures origines (bourbon, robusta...), évidemment tous des grands crus de Brésil, Colombie, Équateur, Éthiopie, Pérou, Mexique, Égypte, Kenya, Jamaïque...

Alors, vous vous laissez séduire par les descriptions subtiles de leurs nuances : une force douce, légère, équilibrée, charpentée, corsée. Vous êtes intrigués par la nouvelle expérience que vous offrira un Maragogype, un Moka, un Sidamo, un Santos, un Excelso ! Votre imagination travaille pour spéculer sur la complexité de leurs arômes : fruités, floraux, épicés ou chocolatés. Vous cherchez des références différenciatrices pour retrouver la chaleur des déserts, la fraîcheur des hauts plateaux. Vous aimeriez bien être en capacité d'apprécier la plénitude des sensations de tous les parfums et les goûts promis : ronds, capiteux, boisés, herbeux et légèrement acides, sucrés ou cacaotés !

Leur provenance exotique et leurs qualités délicates s'affichent sur la carte du dessert pour en faire un argument raffiné de dégustation, voire rehausser le prestige de la table. Quelle insolence que le choix ! La tentation d'une nouvelle expérience ou la poésie des mots finit souvent par l'emporter. Tout ça pour ça ! Car il est un peu fort de café de commettre alors, le sacrilège de le sucrer ou d'y ajouter crème ou lait !

Si votre génération Moulinex, Nespresso a perdu la primeur odorante du café à moudre vous ignorez aussi le rituel de son élaboration. A l'époque, un même verbe résumait le parfait accord temporel entre "passer son temps et passer le café". Pour nos anciens, c'était simplement le bon temps qu'il fallait prendre !

Pour y parvenir, il convient de disposer d'abord de trois éléments indispensables : une cafetière, de l'eau bouillante et un filtre. La cafetière en fer émaillé vert a un double usage, elle sert à le préparer et à le servir. D'abord, il faut transvaser les cuillerées de café moulu dans le filtre, un récipient conique posé sur le haut du pot, tapissé d'un papier absorbant ou d'une toile, une sorte de bourse de coton. "A la guerre, comme à la guerre !" Dans les tranchées, une vieille chaussette faisait office de filtre. Vive le "système D avec la chaussette DD !"

Il ne vous reste plus maintenant qu'à verser doucement l'eau en ébullition sur la mouture et à la laisser gonfler, mousser et pénétrer, distillant en tombant un goutte à goutte de café odorant et infusé. Peu à peu, le bas de la verseuse se remplit, prête à la distribution du fameux breuvage qui sera servi délicatement dans une tasse ou un bol. Un exquis raffinement encourage même à disposer au-dessus du moulu, quelques grains de chicorée qui formeront un duo d'arômes et de saveurs douçâtres .

En fonction du nombre de cuillerées, du dosage de café moulu, vous obtenez un café délicat, agréable et savoureux qui vous séduit du bout de la langue. Dès la première gorgée, il enchante votre palais et reste long en bouche. 

Mais comme les Italiens, vous pouvez le préférer, tiré d'un percolateur, en expresso et ristretto, c'est-à-dire fort, puissant, charpenté et serré. Un franc réveil tonique garanti, contenu dans deux larmichettes mousseuses perdues au fond d'un rince-œil qui auréoleront vos lèvres d'une couleur café, crémeuse !

Faire un bon café nécessite du doigté et de l'expérience. Une casserole ad hoc permet souvent de doser la quantité de liquide frémissant bien mieux que ne le ferait le simple bec verseur d'une bouilloire. Sinon, vous noyez la préparation et vous obtenez un café clair, dilué, fade, insipide, une lavasse comme celle du front, appelée "jus de chaussette." Nous ne savons pas si cette dernière, mal rincée, accumulait au fil des opérations une teinte brune et s’imprégnait finalement de l'odeur tenace du café... Une chose est sûre ! Le liquide dans le quart, copieusement chargé de marc était à couper au couteau et donnait autant à boire qu'à manger !

Attention ! Si pour reprendre de temps en temps, dans la journée un petit jus, vous mainteniez la cafetière au chaud, à l'arrière, sur le fourneau, il fallait veiller à ne pas faire bouillir son contenu. Car comme le dit le dicton, entendu autrefois au café du commerce, entre clients accoudés au comptoir devant un petit noir et un pousse-café : "café boulu, café foutu !"

Voilà, si vous êtes vous-même frappé du café, au point de vous jaunir les dents, si vous parvenez à lire l'avenir dans le marc de café, si vous êtes un adepte frénétique de la pause-café au travail ou du caf'conc' dancing dominical, rien n'est trop inquiétant ! Si vous pensez avoir un grain et si vous êtes moulu, écoutez "The coffee song" de Franck Sinatra en dégustant un café liégeois revigorant et arrêtez de broyer du noir !

Jacques Prévert réveille votre conscience et vous invite à relativiser en évoquant une situation bien pire, dans "La grasse matinée" : 

"Il est terrible

le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d'étain

il est terrible ce bruit

quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim...

Ça ne peut pas durer

ça dure

trois jours

trois nuits 

sans manger...

Un peu plus loin le bistrot

Café-crème et croissants chauds...

L'homme titube

et dans l'intérieur de sa tête

un brouillard de mots

un brouillard de mots

Sardines à manger

œuf dur café-crème

café arrosé rhum

café-crème

café-crème

café-crime arrosé sang !...

Un homme très estimé dans son quartier 

a été égorgé en plein jour

l'assassin le vagabond lui a volé 

deux francs

soit un café arrosé

zéro franc soixante-dix

deux tartines beurrées 

et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon."

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