Funambule
EV 8
Il est des avis qui sont tenaces et contradictoires. Ainsi en est-il de ces deux expressions opposées : "Le ridicule tue." ou "Heureusement, le ridicule ne tue pas." Qui a raison ?...
Au premier degré, celui dont on se moque, celui qui prête à rire et qui n'est plus pris au sérieux est traité de ridicule. Dans ce monde des apparences, le pauvre est déjà socialement mort avant même de mourir de sa belle ou méchante mort.
Par contre, celui qui a de l'humour vis à vis de lui-même, qui reconnaît que bien des fois, il se retrouve un peu gauche, emprunté ou risible, celui-là sait que le ridicule n'est pas mortel. La preuve vivante, c'est qu'il y a, jusqu'à présent, survécu... C'est comme moi-même, j'y survis !... Sans doute grâce à l'adage : Le ridicule ne tue pas, plus ; si le ridicule tuait, il serait mort !"
Que devrions-nous craindre, alors ? Le regard de l'autre ou notre propre sensation ?... Si la vie est une grande scène de théâtre, chacun joue d'acte en acte, avec plus ou moins de talent, la comédie. Alors oui, notre personnage peut apparaître grotesque et clownesque ou émouvant et pathétique ! Il peut être brocardé, sifflé par de joyeux persifleurs ou nargué par de sots spectateurs. Soit il tient son rôle en forçant le trait, soit il incarne la vérité du sentiment, l'instantanéité du moment, la fragilité du fil de l'émotion ! En cette alternative, ma plume hésite toujours !
Être un bouffon ou un acteur authentique, quel choix ! Il n'est pas besoin d'exagérer, parfois le naturel suffit... L'outrance d'un vêtement suffit à nous rhabiller, un accoutrement criard qui nous affuble, nous octroie une allure ridicule. L'originalité se confond parfois avec l'excentricité, la nouveauté passe pour une lubie ou une bizarrerie passagère, le dernier caprice de l'artiste en vogue. Certains feront même la queue pour admirer ou entendre son coup de tête du moment !
De toutes façons, c'est d'abord le jugement de l'autre qui nous rend génial ou grotesque. Nous pouvons par votre attitude, pressentir nous-même, voire induire une appréciation générale, offrir un point de vue d'ensemble. Mais il faut bien admettre qu'alors, son vrai degré de pertinence nous échappe. Car l'impression que nous laissons à notre observateur se module en fonction de son éducation, de sa culture, de ses mœurs, de son vécu et même de la mode du moment ! Ainsi en est-il du rapport écrivain, lecteur. Sa solidité ne tient qu'à un fil ténu.
Moi, je suis souvent, au bord du vide des idées et ma plume hésite et vacille au bord du précipice de l'encrier. Je ne tiens pas longtemps sur le fil de ma plume rasoir. Pauvre funambule, dans mes petits chaussons, je chancelle devant le lecteur qui ayant perdu le fil, me balance parfois ! Je peux travailler sans un filet, ma bêtise me les tend... Je suis en contant déséquilibre stylistique !
La preuve, immédiatement sur la piste aux étoiles de mes textes constellés de jeux de mots légers, voltigeant au vent de mon imagination comme des fils de la Vierge. Mais rassurez vous, je n'ai pas d'araignée au plafond. Je tisse patiemment ma toile dans le labyrinthe de mes innovations linguistiques. Si vous ne voulez pas vous y égarer, possédez-vous le fil d'Ariane ?
Oui ! Nous sommes en permanence des funambules de la vie et de l'esprit. C'est ainsi ! Une maladresse de langage peut rendre comique ce qui se voulait sérieux ou pathétique ! Une mauvaise tournure de phrase peut nous jouer un mauvais tour. Elle effilochera le petit talent littéraire, affectera son style filandreux, l'emberlificotera et l'empêtrera, au point de faire "tourner le dos au cercle de nos admirateurs !"
- "Holà ! Holà ! Je vous arrête ! Monsieur l'accroc-bath écrivain, quelle est cette figure : "faire tourner le dos au cercle..." - "Et bien, chers amis, ce n'est rien que la preuve flagrante du ridicule consommé et assumé par votre serviteur, le grand guignol de la plume au chapeau !..." Je suis en permanence sur la corde raide de l'expression.
Je le sais, je n'ai pas inventé le fil à couper le beurre, mes écrits ont le corps gras. D'ailleurs, je suis tellement conscient de mes défauts d'écriture et chargé de tant de colliers de mes fausses perles que, j'ai créé pour me dédouaner à vos yeux, une piètre rubrique, intitulée : "sans queue ni tête !" J'ai l'espoir, qu'avec le sel de l'esprit sur la queue de l'oiseau de la fantaisie et que, sans perdre la tête, le ridicule ne me tue pas. Je vous offre donc, au fil de la plume, balivernes et calembredaines !
Je renouvelle ainsi les inepties syntaxiques du galantin bourgeois gentilhomme. Je file doux la métaphore. J'abuse d'inélégantes turlupinades sous forme de "mystères et boules de comme". Je suis prétentieux comme Trissotin. Je suis parodique. Vous pourriez m'envoyer au diable et me mettre en boîte, j'en surgirais encore comme un diablotin !
Et comme apparemment, le ridicule ne tue pas, en toute invraisemblance, certains m'apprécient encore... Fil de fériste de la boutade et des histoires cousues de fil blanc, le trait d'esprit est mon fil à la patte. Je donne du fil à se tordre et à retordre à ceux qui veulent bien filer le parfait humour.
Mon ridicule, mes calembours, mon sac de nœuds sémantiques et le saugrenu de mes élucubrations sont parfois récompensés... Sans doute à ma juste valeur, celle de la créativité ! Voyez-vous ! Comme on ne prête qu'aux riches, moi, je prête donc à rire et j'ai, je vous l'assure, une vraie richesse de fond, celle de mes illusions, pas toujours comiques ! Vous pouvez donc bâiller, ô Corneille !