SQNT DOUBLE
Est-ce qu'un jour, les œuvres d'art pourront se libérer de leur éternité, descendre de leurs cimaises, courir dans les galeries et sortir des musées?
Pourra-t-on voir une fois, les personnages célèbres sortir de leurs postures figées, dans le marbre ou la pierre, sous les couches de peinture des toiles et des bois, retrouver leur éclat?
J'imagine fort bien, Le Penseur de Rodin se dépliant la main, perclus de rhumatisme, se redresser enfin et le front libéré de toute idée reçue, crier tonitruant: "Toute pensée est libre, vive la liberté!"
De l'art de la Renaissance à la renaissance de l'art, Mona Lisa peut enfin, soulagée, esquisser un sourire et dire: " J'ai gagné Léonard! Ce n'est pas moi, qui ai ri la première au jeu du: je te tiens, tu me tiens par la barbichette!" Elle tourne alors la tête et s'éloigne prestement, heureuse d'échapper, aux regards médusés de ses admirateurs.'ai>
Partout, le souffle de la vie réanime la splendeur et la beauté des êtres et des choses. Alors, Allégories, Dieux et Déesses, Héros et Héroïnes, Célébrités ou Commun des mortels, entrent en délivrance. Annulées les époques, le temps est aboli, des rencontres improbables prennent réalité. Tout est possible et kitsch!
Koons, de retour de Versailles, expose la Vierge à l'enfant de Dürer, dans une boule à neige. La Vénus de Botticelli sort frissonnante de sa coquille et tombe sur Adam, descendu du plafond de la chapelle Sixtine, pour prier Michel Ange d'achever sa création, car assurément, il la touchait enfin du doigt.
Partout l'art secoue sa poussière et s'anime. Chez Jérôme Bosch, Au Jardin des Délices, Les Trois Grâces de Raphaël arrêtent de nous prendre pour des pommes et vont se rhabiller. C'est l'heure de prendre chez Marilyn, une Campbell's Soup avec Andy. Les belles anorexiques de Modigliani et de Giacometti décident de suivre le régime de Rubens!
En villégiature, à Milo, le Discobole se masse les reins, atteint par un lumbago. Il admire envieux, les lestes Apollons, Adonis et déesses vénusiennes, dansant bras, dessus-dessous, sous la conduite rythmique et aérobic de L'homme de Vitruve.
Lors de la Cène, au grand dam de Vinci et de l'Humanité à racheter, Jésus, sans avoir pris le temps de rompre le pain et de boire la coupe de vin, quitte la table précipitamment, dévoré par sa Passion. Sa petite Danseuse, rencontrée chez Degas vient de Reims et sourit aux Anges! Le Pape de Bacon, rouge de honte et de colère, pousse le fameux cri de Munch. Comment lui pardonner ce baiser public, saisi par Klimt et Rodin?
A la ville, La Liseuse de Fragonard peut enfin tourner la page et connaître la fin de l'histoire. A la campagne, Le Déjeuner sur L'herbe, chez Renoir s'achève précipitamment sous l'averse. A Giverny, La Jeune fille à la Perle de Vermeer, détourne son regard, enlève son turban bleu et libère ses cheveux pour descendre dans le Jardin de Monet, contempler sur Le Pont Japonais, Nénuphars, Iris et Nymphéas.
A la ferme, tandis que meugle La Vache de Potter, La Laitière se dépêche de vider son pot à lait. Ce soir, c'est fête et danse pour Les Amoureux, Chagall, Picasso et Manet ont sorti fifre, guitare, tambour et violon.
Les Joueurs de cartes de Cézanne et les Glaneuses de Millet, finissent leur partie et leurs prières. C'est l'heure de déguster l'angélus et le pastis! Les ouvriers de Léger, cessent d'assembler leurs poutrelles, Gustave Eiffel les invitent à la Tour d'Argent.
Après s'être payé une pinte de bon sang, le Maneken Pis se soulage à la pissotière de Duchamp, reparti sur son nouveau dada, un monocycle.
A Samothrace, Bartholdi, sacré artiste de l'année, remporte la victoire des Golden Arts Awards, pour sa statue de la Liberté.
Partout, le renouveau, la libre fantaisie. la nature est en fête. Tout le jour, Les Colombes de la Paix de Matisse et Picasso vont porter la nouvelle.
A Arles, chez Vincent, sous La Nuit Etoilée, Les Tournesols baissent la tête en révérence et en cadence, charmés et bercés par le sublime hymne à la lune: O Casta Diva!, de Bellini.