CDEC entier
Horace avait raison: "L'instruction accroît la valeur innée." (ODES IV-4-33) car " aux âmes bien nées, elle "n'attend pas le nombre des années." (P Corneille- Le Cid)
L'école en a fait sa sagesse proverbiale. Ses murs retentissent de mille éclats de voix :
A ma gloire pastiche
" Je suis le ténébreux, le cancre mal aimé,
Le prince de malchance aux zéros abonné:
Ma bonne étoile est morte, et mon pauvre cahier
Porte le soleil noir des tâches d'encrier. " (1)
" Souvent en fond de classe, près du radiateur,
Attendant la sortie, tristement, je m'assieds;
Et mon esprit s'égare, très loin, au fil des heures
De ce tableau changeant, de ces leçons casse-pieds. " (2)
Le maître :
" Jehan, as-tu du coeur?
Jehan :
Tout autre que vous, maître
L'éprouverait sans heurts. " (3)
Le maître :
" A moi, Jehan, deux mots!
Jehan :
Parlez!
Le maître :
Ôte-moi d'un doute,
Connais-tu Charlemagne?..." (4)
Jehan :
Oui,
Le maître :
Sur Charles, dit le Magne, il te faut disserter;
Et l'école, dis-nous, l'a-t-il bien inventée?
Jehan :
" Atteint jusques au fond du cœur
D'une attaque imprévue aussi bien que cruelle,
Pour vous répondre, Maître, je me creuse cervelle,
Ne voulant supporter votre juste rigueur. " (5)
En aparté :
" Il me faut donc ramer ou braver sa colère
Que diable, suis-je venu faire dans cette galère? " (6)
Déclamant :
" Sire Childéric, sur son trône perché
Fut, on le sait, dernier de son lignage.
Maire du palais, par pouvoir alléché
Lui tint à peu près ce langage:
Hé! Bonjour, fils béni parmi les Mérovée,
A vous, la vie d'château et à moi, les corvées!
Sacré roi fainéant, si pour pomm' me prenez,
Par la foi de Pépin, bien fort vous méprenez!
Bref! De tous ces propos, Childéric, le bon roi
Malheureux et confus, resta muet, sans voix.
Sitôt incontinent, couronne lui donna
Aux maudits Pipinides, le trône abandonna. " (7)
De cette dynastie, naquit Charles Le Grand.
Voici, ô mon bon maître, le début du roman.
Le maître médusé de tant d'science historique :
" Ô grâce, ô doux espoir! Ô jeunesse bénie!
Que me soit pardonnée toute ma vilenie!
Car si je t'ai flétri par mes propos guerriers,
J'exulte qu'à ton front, fleurissent tous ces lauriers. " (8)
Jehan :
" Pour être un vrai héros, il me faut achever
C'est peu pour moi de vaincre, je veux encore braver... " (9)
Or donc, à Roncevaux, Roland, son preux neveu
" Aimait le son du cor, le soir au fond des bois. " (10)
Soufflant à perdre haleine, à s'en casser la voix.
A ses basques, les Maures couraient "Sus au baveux! "
Brisons là, leur dit-il, brandissant Durandal,
" Point de royaume à prendre, encore moins mon cheval! " (11)
Le maître impatient :
" Oui! Roland cornait tout le temps,
Il cornait, j'en suis fort aise
Hé bien! Concluez maintenant. " (12)
Jehan:
L'oreille de Charles est bien mauvaise,
Il n'entend pas sonner le cor...
" Roland se meurt, Roland est mort. " (13)
" Ô triste, triste était son âme
A cause, à cause de ces infâmes.
Il ne s'est jamais consolé
De savoir Roland en allé. " (14)
Guerroyer devint interdit,
Tous les soldats furent maudits.
La paix fut donc son seul souci.
Place aux missi dominici!
Caressant sa barbe fleurie,
Il convoqua les érudits :
" De l'école avant toute chose,
Et pour cela, finies les guerres.
Qui dira les torts de la haine!
Le plaisir d'apprendre en semaine!
De la musique, troubadours,
De la science encore et toujours!
Que leçon soit bonne aventure,
Tout le reste est littérature. " (15)
Avez-vous reconnu les poèmes et leurs auteurs célèbres, allègrement et honteusement pastichés?
(1) El Deschidado - Les Chimères - Gérard de Nerval
(2) L'isolement - Méditations poétiques I - Alphonse de Lamartine
(3) Le Cid - Acte I - Scène V - Pierre Corneille
(4) Le Cid - Acte II - Scène II - Pierre Corneille
(5) Le Cid - Acte I - Scène VI - Pierre Corneille
(6) Les Fourberies de Scapin - Acte II - Scène VII - Molière
(7) Le corbeau et le Renard - Fables - Jean de la Fontaine
(8) Le Cid - Acte I - Scène IV - Pierre Corneille
(9) Horace - Acte IV - Scène II - Pierre Corneille
(10) Le Cor - Alfred de Vigny
(11) Richard III - Shakespeare
(12) La Cigale et la Fourmi - Fables - Jean de la Fontaine
(13) Oraison Funèbre - Bossuet
(14) Ô triste, triste était mon âme... - Romances sans paroles - Paul Verlaine
(15) Art Poétique - Paul Verlaine
Le maître à Jehan :
Jehan, tu es bien jeune " mais aux esprits bien nés
La valeur n'attend pas le nombre des années. " (16)
Le maître à la classe:
" Ecole, mère des arts, des leçons, des devoirs,
Longtemps vous nourrira du lait de sa mamelle;
Ores, comme les soldats que le devoir appelle
Remplissez en son nom des pages chaque soir. " (17)
Jehan :
" Demain, dès l'aube, à l'heure où sonnera ma Seiko,
Je me réveillerai pour bosser l'interro.
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je me lèverai heureux. Je sais qu"il faut apprendre
Fleuve, océan, pénéplaine et montagne...
Je ne puis demeurer ignorant plus longtemps. " (18)
La classe :
Fayot! Fayot!
Gare à ta gueule!
Gare à tes meules!
Bouffon! Fayot!
Répondit l'Echo.
Le Maître :
Silence, taisez-vous, bandes de p'tits minus.
Osez ainsi braver railler, le Carolus Magnus!
Je vous apprendrai, moi, à vous gausser ainsi,
A l'étude, au sérieux, préférer l'anarchie!
Prenez une copie,
Travaillez sans répit:
Sous forme de poème,
Déclinez-moi le thème;
De vos scolarités,
Montrez-moi l'intérêt.
Petit Jacques :
Ô Maître, pour moi, notre école,
C'est un abri pour rossignols...
"Peindre d'abord une cage
Avec une porte fermée Ensuite l'appeler
Classe, école, lycée
Attendre l'heure de la rentrée
Ne pas se décourager
Elle vient à petits pas bleutés
Dans la douceur d'une fin d'été,
Attendre sans se presser.
Quand l'oiseau arrive
L'appeler oiseau rare,
Écolier écolière
Et pour qu'il se cultive
Lui parler de Tite Live
De Corneille de Prévert
De Racine et Molière
D'Euclide et de Mozart
Des Chroniques de Froissart.
Attendre qu'il entre dans la cage
Et quand il est entré
Fermer doucement la porte
Ecrire son nom dans un coin du tableau. " (19)
Joachim :
Je ne veux pas de cage
Je veux des équipages
" Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Et ne fut pas contraint de faire l'enfant sage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Sans devoir s'adonner aux rimes, à la raison!
Sans devoir s'éreinter aux devoirs, aux leçons"
Son jumeau :
C'est bien dit, Joachim
L'école c'est qu'du chagrin!
" Mon frère ou toi ma sœur,
Songe à la douleur
D'aller là-bas trimer ensemble!
Bosser à loisir,
Bosser et suer
Dans l'enfer qui nous rassemble! " (21)
" Ô maître, si mon langage
A le propos audacieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne jactiez guère mieux. " (22)
Caruso :
En l'honneur de Charlemagne moi, j'ai fait une chanson
Qu'on pourrait tous en chœur entonner à l'unisson :
"Toi qui as eu l'idée folle
Un jour d'inventer l'Ecole
Tu mériterais des torgnoles
Des coups de pied dans les guibolles
Car l'école, c'est comme le bagne
Sacré, Sacré, Charlemagne! " (24)
Avez-vous reconnu les poèmes et leurs auteurs célèbres, allègrement et honteusement pastichés?
(16) Le Cid (encore et toujours! ) - Pierre Corneille
(17) France, mère des arts... Les Regrets - Joachim du Bellay
(18) Demain dès l'aube... Les Contemplations - Victor Hugo
(19) Pour faire le portrait d'un oiseau - Paroles - Jacques Prévert
(20) Heureux qui, comme Ulysse... Les Regrets - Joachim du Bellay
(21) L'invitation au voyage - Les Fleurs du Mal - Charles Baudelaire
(22) Stances à Marquise - Pierre Corneille
(23) Sacré Charlemagne - Gall Robert et France
La classe continue de répondre au Maître.
L'avant-dernier :
" Je suis venu, câlin, patelin
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers l'école de la grande ville
Ils ne m'ont pas trouvé malin. " (24)
L'avant dernier ex-æquo :
" Sans tête suis, bel esprit voudrais être,
Sans tête m'a Dame mémoire laissé,
Sans tête suis au grand dam de mes maîtres,
Sans tête suis, accablé, dépassé,
Sans tête suis partout et sans pensées,
Sans tête suis de tant d'erreurs comblé,
Sans tête suis, vaillant petit baudet " (25)
Le maître :
" Tu es jeune, il est vrai mais aux ânes damnés
La douleur n'attend pas le nombre d'avoinées. " (26)
Martin rêveur :
" Le temps m'a laissé son manteau
De langueurs, de rêves et d'ennuis,
Et s'est vêtu d'étourderies,
De reproches sonnant clair et haut. " (27)
" Mais vrai, j'ai trop plané! Mes notes sont navrantes.
Toute faute est atroce et tout reproche amer :
L'âcre effort m'a gonflé de remarques cinglantes.
Ô ciel! Ma tête éclate! Je retourne chez ma mère. " (28)
Paul le courageux :
" C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
A longueur de semaine,
Je me donne tant de peine. " (29)
Un baîlleur :
" Ô temps! Suspends ton vol, et vous, heures propices!
Suspendez tous nos cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours :
Une récréation qui dure tout un jour! " (30)
" Devant l'ennui que sonne l'heure
De la fin du cours où je meurs.
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps perdu
Ni les récrés reviennent
Sous le préau coule ma peine. " (31)
Le dernier :
" Oui, le cancre est semblable au prince des nuées
Qui plane dans ses rêves, se rit des quolibets;
Exilé dans la classe au milieu des huées,
Ses ailes déployées l'empêchent de retomber ." (32)
" Le crissement de la craie ne fait pas frissonner sa narine.
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux tâches d'encre au bout des doigts. " (33)
Un redoublant :
" Que sont mes copains devenus
Eux que j'avais si près tenus
Et tant aimés?
Je vois qu'ils sont trop clairsemés,
Je crois le temps les a ôtés,
L'enfance est morte
Ce sont amis qu'école emporte. " (34)
" Oh! Combien de malins et de petits génies
Qui sont partis joyeux pour des cours insomnies!
Sur les bancs de la classe en usant leur culotte,
Combien ont disparu? Où sont passés mes potes?
Sous les lauriers fanés à jamais enfouis! " (35)
Envoi :
" Nous vous voyons attablés, vingt, trente,
Tête baissée comme font pénitentes
Traçant, gravant, burinant, ânonnant
Et, vos cerveaux prisonniers des carcans
A votre mal personne ne remédie,
De congés en semaines, de trois à quatre jeudis,
Moult enseignants ont quelques grains à moudre;
Mais, vous n'avez que problèmes à résoudre.
Frères écoliers qui après nous vivez,
N'ayez les cœurs contre Charles endurcis,
Car si pitié de lui pauvres n'avez,
Jules Ferry aura de vous souci! " (36)
Avez-vous reconnu les poèmes et leurs auteurs célèbres, allègrement et honteusement pastichés?
(24) Je suis venu, calme , orphelin... - Sagesse - Paul Verlaine
(25) Ballade - Christine de Pisan
(26) Le Cid - Corneille peut bayer!
(27) Rondeau - Charles d'Orléans
(28) Le bateau ivre - Poésie 1871 - Arthur Rimbaud
(29) Il pleure dans mon coeur... - Romances sans paroles - Paul Verlaine
(30) Le lac - Méditations poétiques - Alphonse de Lamartine
(31) Le pont Mirabeau - Alcools - Guillaume Apollinaire
(32) L'albatros - Les fleurs du Mal - Charles Baudelaire
(33) Le dormeur du val - Poésies 1870 - Arthur Rimbaud
(34) La complainte Rutebeuf - Rutebeuf
(35) Oceano Nox - Les rayons et les ombres - Victor Hugo
(36) La ballade des pendus - François Villon