Connaître ses classiques ! 1/3
CDEC DOUBLE
À ma gloire pastiche
"Je suis le ténébreux, le cancre mal aimé,
Le prince de malchance aux zéros abonné:
Ma bonne étoile est morte, et mon pauvre cahier
Porte le soleil noir des tâches d'encrier." (1)
"Souvent en fond de classe, près du radiateur,
Attendant la sortie, tristement, je m'assieds;
Et mon esprit s'égare, très loin, au fil des heures
De ce tableau changeant, de ces leçons casse-pieds." (2)
Le maître :
"Jehan, as-tu du coeur?
Jehan :
Tout autre que vous, maître
L'éprouverait sans heurts." (3)
Le maître :
"À moi, Jehan, deux mots!
Jehan :
Parlez!
Le maître :
Ôte-moi d'un doute,
Connais-tu Charlemagne?..." (4)
Jehan :
Oui,
Le maître :
Sur Charles, dit le Magne, il te faut disserter;
Et l'école, dis-nous, l'a-t-il bien inventée?
Jehan :
"Atteint jusques au fond du coeur
D'une attaque imprévue aussi bien que cruelle,
Pour vous répondre, Maître, je me creuse cervelle,
Ne voulant supporter votre juste rigueur." (5)
En aparté :
"Il me faut donc ramer ou braver sa colère
Que diable, suis-je venu faire dans cette galère?" (6)
Déclamant :
"Sire Childéric, sur son trône perché
Fut, on le sait, dernier de son lignage.
Maire du palais, par pouvoir alléché
Lui tint à peu près ce langage:
Hé! Bonjour, fils béni parmi les Mérovée,
À vous, la vie d'château et à moi, les corvées!
Sacré roi fainéant, si pour pomm' me prenez,
Par la foi de Pépin, bien fort vous méprenez!
Bref! De tous ces propos, Childéric, le bon roi
Malheureux et confus, resta muet, sans voix.
Sitôt incontinent, couronne lui donna
Aux maudits Pipinides, le trône abandonna." (7)
De cette dynastie, naquit Charles Le Grand.
Voici, ô mon bon maître, le début du roman.
Le maître médusé de tant de science historique :
"Ô grâce, ô doux espoir! Ô jeunesse bénie!
Que me soit pardonnée toute ma vilenie!
Car si je t'ai flétri par mes propos guerriers,
J'exulte qu'à ton front, fleurissent ces lauriers." (8)
Jehan :
"Pour être un vrai héros, il me faut achever
C'est peu pour moi de vaincre, je veux encore braver..." (9)
Or donc, à Roncevaux, Roland, son preux neveu
"Aimait le son du cor, le soir au fond des bois." (10)
Soufflant à perdre haleine, à s'en casser la voix.
À ses basques, les Maures couraient "Sus au baveux!"
Brisons là, leur dit-il, brandissant Durandal,
"Point de royaume à prendre, encore moins mon cheval!" (11)
Le maître impatient :
"Oui! Roland cornait tout le temps,
Il cornait, j'en suis fort aise
Hé bien! Concluez maintenant." (12)
Jehan:
L'oreille de Charles est bien mauvaise,
Il n'entend pas sonner le cor...
"Roland se meurt, Roland est mort." (13)
"Ô triste, triste était son âme
À cause, à cause de ces infâmes.
Il ne s'est jamais consolé
De savoir Roland en allé." (14)
Guerroyer devint interdit,
Tous les soldats furent maudits.
La paix fut donc son seul souci.
Place aux missi dominici!
Caressant sa barbe fleurie,
Il convoqua les érudits :
"De l'école avant toute chose,
Et pour cela, finies les guerres.
Qui dira les torts de la haine!
Le plaisir d'apprendre en semaine!
De la musique, troubadours,
De la science encore et toujours!
Que leçon soit bonne aventure,
Tout le reste est littérature." (15)
...
Sans doute avez-vous reconnu les poèmes et leurs auteurs célèbres, allègrement et honteusement pastichés?
(1) El Deschidado - Les Chimères - Gérard de Nerval
(2) L'isolement - Méditations poétiques I - Alphonse de Lamartine
(3) Le Cid - Acte I - Scène V - Pierre Corneille
(4) Le Cid - Acte II - Scène II - Pierre Corneille
(5) Le Cid - Acte I - Scène VI - Pierre Corneille
(6) Les Fourberies de Scapin - Acte II - Scène VII - Molière
(7) Le corbeau et le Renard - Fables - Jean de la Fontaine
(8) Le Cid - Acte I - Scène IV - Pierre Corneille
(9) Horace - Acte IV - Scène II - Pierre Corneille
(10) Le Cor - Alfred de Vigny
(11) Richard III - Shakespeare
(12) La Cigale et la Fourmi - Fables - Jean de la Fontaine
(13) Oraison Funèbre - Bossuet
(14) Ô triste, triste était mon âme... - Romances sans paroles - Paul Verlaine
(15) Art Poétique - Paul Verlaine