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Lettre attachante - La ceinture

Publié le par modimodi

 BAL  CONF

On ne saura jamais mesurer l'importance des petites choses, des événements apparemment insignifiants. Il en fut ainsi de ma première vraie ceinture, marquant mon entrée dans le monde des grands. Je quittais alors mes sempiternelles culottes courtes aux ceintures élastiques colorées pour enfiler un élégant jean bleu délavé.

Quelle fierté quand le vendeur me présenta un beau ceinturon en cuir marron avec une boucle métal, couleur bronze. Mais pour avoir fière allure, il m'a fallu d'abord laborieusement apprendre à le glisser dans les passants puis saisir l'aiguillon pour le pousser dans le cran prévu afin de le serrer autour de ma taille.

Par ces gestes qui me sont aujourd'hui familiers, je ne réalisais pas encore que je venais symboliquement de boucler la première partie de mon enfance et que je basculais dans "l'âge dit de raison", un nouvel entre-deux de ma vie. Un monde inconnu de découvertes disponibles s'ouvrait à ma curiosité de novice.

Tout était inédit. Il me faudrait prendre le temps de les comprendre, de les assimiler pour agir et m'engager. Tels se présentaient mes premiers pas serrés et mal assurés, à accomplir sur la route initiatique des toutes neuves responsabilités. Heureusement, ma famille aimante m'apprit à grandir, en ajustant mes envies, joignant l'utile à l'agréable sans jamais poser de barrières à mon univers d'enfant.

Outre le plaisir et les jeux, les valeurs que je garde encore aujourd'hui s'inspirent du scoutisme qui m'a offert symboliquement, ma plus belle boucle de ceinture. Ainsi, au fil du temps, mes ceinturons serviraient à accrocher mes clés, mon couteau et mon revolver dans son étui, mes prises de guerre, ma boussole et ma gourde... Elles me donnaient l'assurance de ne rien perdre et un fier statut d'aventurier. Elles me différenciaient surtout de ma sœur qui avait besoin de se balader, une pochette à la main, pour transporter ses préciosités féminines. Moi, j'avais les mains libres !

L'autre stade marquant de mon évolution adolescente fut lorsque je pus emprunter les ceintures de mon père. Soucieux de mon image, un peu coquet, j'en faisais un accessoire de mode et de fantaisie, assortissant ou tranchant les coloris avec les pantalons, élargissant les sangles ou variant les boucles. 

Je comptais ainsi rendre un peu jaloux mes copains de classe et surtout intéresser les fraîches demoiselles afin de mieux leur plaire. Premières tentatives de séduction, premiers échecs, car la concurrence des cours de récréation était rude. J'étais plus séduit que séducteur comblé.

En effet, mes bonnes amies en jupe ou en robe, aimaient à faire assaut d'élégance. Par leurs foulards, leurs ceintures, cordons, cordelières ou bandeaux en soie, qu'elles nouaient avec grâce, elles s’efforçaient qu'on les remarquât.

Je n'avais pas hélas, l'exclusivité des tentatives et parades pour les dénouer ! Nous étions nombreux à les désirer sans ne parvenir souvent à obtenir qu'une œillade, un sourire complice. Recueillir un baiser furtif relevait du rêve ou de l'exploit ! Chacune avait sa pudeur et sa ceinture de chasteté.

Quelques-uns s'en sortaient mieux que d'autres. Lorsqu'ils arboraient leurs ceintures vertes ou marrons obtenues au judo, le prestige et son corollaire, le succès leur étaient quasi garantis. Moi et les autres, n'avions alors qu'à faire ceinture et à nous coucher vaincus sur le tatami, en rêvant de leurs chutes de reins !

Ce premier apprentissage de la vie a probablement influencé mon existence d'adulte. J'ai depuis toujours, veillé à ne pas avoir à me priver et à me serrer la ceinture, sans pour autant être dispendieux ni inconséquent, en la déliant inconsidérément. L'existence vous rend d'ailleurs raisonnable, car elle vous serre la vis et vous corsète souvent de ses taxes, impôts et obligations.

J'ai encore appris qu'il faut parfois porter son dépit en bandoulière, voire même la boucler et serrer les dents. D'ailleurs le paradoxe de la sagesse vous dicte votre conduite. S'il faut être adepte de l'économie et de l'épargne, il ne faut pas économiser sa volonté ni épargner ses efforts. 

Pour remporter la compétition des apparences et des honneurs ou pour accéder à plus de bien-être, vous devez souvent avancer en rangs serrés, coudes serrés au corps. L'atavisme de la sentence populaire vous poursuit de sa morale : Est-ce que "bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée" ? Est-ce qu'"avoir une bonne réputation et être pauvre, vaut mieux que d'être riche et malfamé" ? A chacun sa taraudante réponse !

Il est donc prudent d'être prévoyant et de savoir serrer les cordons de la bourse. Car la vie exige de ne jamais desserrer sa vigilance. Il vaut mieux s'accrocher et affronter les difficultés en bouclant sa ceinture de sécurité. Rares sont ceux qui peuvent espérer une ceinture de sauvetage. Certains extrémistes de la précaution revêtent même bretelles et ceinture ! Mais personne n'évite les coups bas portés sous la ceinture.

Aujourd'hui, j'aime quand ma douce amie m'enlace et se blottit, me ceinture à la taille et m'embrasse. J'aime quand elle me presse et me serre. Je lui donne tout mon attachement. Nous ne sommes ni ligotés, ni emprisonnés, jamais à cran.

Je me suis lié à elle sans le moindre désir de me détacher ni de délier nos serments. Nous sommes soudés l'un à l'autre, en jonction étroite, en étreintes douces, en corps à corps noués. Nous sommes scellés mais libres, cœur battant, jamais serré ! Nous n'avons aucune hâte de boucler la boucle !

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Enfance : Le savon 2/2

Publié le par modimodi

 CONF 2

Je ne sais pas si quelques-uns de mes ancêtres ont été de chevelus Gaulois qui utilisaient déjà le savon de Marseille. Pline a rapporté qu'ils se rougissaient les cheveux avec un mélange de suif et de cendre.

De là, peut-être a-t-on tiré des expressions toujours vivaces : "voir rouge comme César à Alésia", "passer un savon à Vercingétorix "ou "se faire laver la tête"... Auquel cas, le savon entre bien dans mon héritage historique ! 

En tout cas, cette collection commencée par ma grand-mère trouve, à mes yeux, une meilleure explication, bien plus logique. Ayant vécu les difficultés des deux guerres, elle avait eu à supporter les privations et la pénurie des denrées les plus élémentaires. Pain, lait, viande, beurre et même le savon s'achetaient alors, au marché noir. 

Dans ces périodes sombres, il fallait bien manger et garantir l'hygiène : nettoyer, lessiver, faire sa toilette. Le savon était au quotidien indispensable et précieux...

De douces années plus tard, dans mon enfance heureuse, en temps de paix, je me souviens du rituel de mes grands savonnages. Nu, dans la bassine d'eau chaude, ma mère pour me débarbouiller, me frottait énergiquement avec un savon au contact granuleux, tenant plus de la pierre ponce à récurer que de la caresse... La salle de bains et les savons doux et parfumés à la lanoline viendront plus tard avec l'évolution sociale et les changements des modes de vie.

Je me rappelle encore que même usé, réduit à l'état de morceaux cassants, il ne fallait pas le jeter ni le gaspiller. Le moindre petit bout de savon était placé au milieu du linge dans la grande lessiveuse qui bouillait sur le réchaud à trois pieds. Je peux ainsi affirmer que nous avons toujours lavé notre linge sale en famille.

Aujourd'hui, je comprends mieux pourquoi mémé Virginie aimait à répéter, lorsqu'elle avait accompli une lourde tâche ménagère : "Ah ! Mes aïeux, je suis rincée" ou pourquoi, d'autres fois, elle nous gratifiait d'un : "Ah ! Mes enfants, je suis lessivée !"

Dans cette ambiance familiale, de tendresse et d'affection mutuelle, d'ablutions et de blancheur nous n'avons jamais eu de problème d'amour propre !

Un jour, au retour d'un voyage, mes parents ramenèrent des mini savons de toilette mis à disposition par l'hôtel. Joie de ma grand-mère qui se découvrit alors une vraie passion de collectionneuse. Avait-elle peur de manquer ? Craignait-elle une nouvelle disette ?

Toujours est-il que toute la famille et les amis qui connaissaient son emballement lui rapportaient systématiquement ces échantillons, qu'elle plaça d'abord dans une grande corbeille en osier puis qu'elle disposa en exposition dans la vitrine d'une bonnetière, fermée à clef ! Je sens encore les odeurs fortes de parfums mélangés, pot-pourri persistant de fragrances lourdes, mi-agréables, mi-écœurantes. Quand elle ouvrait la porte du meuble, immanquablement, elle disait : "ça sent le propre !"

Les conséquences de cette passion se propagèrent dans toute notre tribu, marquant les caractères de chacun. Ma mère était une acharnée du nettoyage, des lavages à grandes eaux savonneuses au savon noir. Le carrelage était décrassé, brossé, briqué et shampouiné. Le temps passé devant l'évier de la cuisine, de la buée plein les lunettes, l'avait distinguée du titre tendrement moqueur de scaphandrier des eaux de vaisselle ! 

Ma chère sœur était mon aînée. Un peu précieuse, toujours en recherche d'effets, elle se maquillait joliment en cherchant à briller et à étinceler. C'est elle, qui chaque année voulait faire scintiller davantage le sapin de Noël au point, un jour de provoquer une surtension et de plonger le repas du réveillon dans le noir ! De là, tenait-elle sans doute, sa préférence pour le savon en paillettes.

Sa progéniture, d'adorables jumeaux, hérita de son atavisme. Prenant ensemble leur bain, ils découvrirent très tôt, grâce à la plongée de la savonnette dans le fond du tub, la poussée verticale du principe d’Archimède. Ils s'en amusaient, à celui qui la ferait remonter plus vite ou plus puissamment de l'eau. Ce fut le début d'une vie de petits génies.

Mes neveux, ces deux jeunots érudits, pétillants et brillants d'intelligence, étaient d'exaspérants petits Pic de la Mirandole. Ayant réponse à tout, ils désappointaient leurs maîtres d'école, qui chaque fois qu'ils s’efforçaient de leur apporter connaissances et explications, s'entendaient répéter en chœur : "Nous le savons, nous le savons !". Aujourd'hui, ils sont ingénieur et universitaire.

Moi, j'ai cumulé de nombreux profits de l'héritage familial. Même si je ne me fais jamais mousser, je peux reprendre une expression de mon petit-fils : "Ça baigne !" J'ai appris à faire le net dans mes relations. Je fuis autant ceux qui veulent laver plus blanc que blanc que ceux qui vous savonnent la planche.

Doux Jésus, la famille a d'ailleurs été épargnée par les sales affaires. Mis à part, l'oncle Pierre qui avait l'énergie d'un savon mou et que la famille avait en cachette appelé "Pilate". En effet, il passait aux yeux de tous pour être fourbe et lâche, car devant chaque difficulté, lors de chaque échec, il affirmait en guise d'explications : "De toutes façons, je m'en lave les mains !"

Alors, moi je vis heureux, en soufflant sur les bulles légères et irisées de mon propre bonheur. Je prends consciencieusement plaisir, dans mes moments de loisirs, à coincer la bulle pour éviter qu'elle ne crève trop vite ! Mes cheveux en sont mêmes devenus tout blancs comme le savon à barbe qui met fin à ce récit peut-être un peu rasoir.

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Enfance : Le savon 1/2

Publié le par modimodi

 CONF 1 

Je vais vous confier un délicieux secret de famille.

Mais avant, demandons-nous "Qui n'a pas une fois dans sa vie commencé une collection ? Il en est de toutes sortes, le plus souvent thématiques, privées, à usage et plaisir personnel ou exposées au regard de visiteurs.

Le vrai collectionneur est un homme de passion toujours inassouvie. Sinon, il ne s'agit que d'un engouement du moment, une épisodique passade d'amateur. Par contre, cette passion, si elle est dévorante, peut devenir frénétique et obsessionnelle, alimentant la recherche de toute une vie. 

Dans l'antiquité déjà, on collectionnait des statues et des coquillages. A la Renaissance, en Europe, les cabinets de curiosités, sous forme de meubles et de vitrines, marquent le goût des aristocrates pour l'exposition d'objets hétéroclites, de préférence inédits : des animaux empaillés, des pierres de foudre ou précieuses, des cornes et défenses, des herbiers, des plantes exotiques, des médailles, des peintures sur pierres, des automates...

Dresser l'inventaire actuel des centaines de collections répertoriées serait ici fastidieux et quasi impossible. Oublions donc vite les plus courantes et les plus prisées : livres, BD, cartes postales, porte-clefs, papillons, insectes, chouettes, chiens, chats, timbres, images, photos, monnaies, boutons... Stop et pause, amis lecteurs ! Reprenez votre respiration ! ... Allez ! Un peu de courage ! On en reprend allègrement : bouchons, boîtes, assiettes, bouteilles, fèves, crayons, porte-plume, plumes d'oiseaux, fers à repasser ou à cheval, pierres, tableaux, jouets, allumettes, étiquettes et ouf ! J'en passe et sûrement des meilleures, encore plus extravagantes ! ... A compléter, c'est le jour de l’inventaire !

Cette trop longue liste s'apparente à un bizarre capharnaüm où s'entassent en ribambelle ce qu'on pourrait appeler des babioles, pourtant considérées par le collectionneur comme des trésors. Récolte de fruits précieux sur l'arbre de la vie, d'une quête patiemment accumulée, dont la véritable valeur est le plus souvent affective.

Ces quelconques bibelots de pacotille, ces simples bricoles et populaires breloques, ces vétilles sans intérêt, ces dadas enfantins, ces hobbys ou toquades inexplicables, ces marottes obsédantes sont souvent des témoins importants. Ils relatent les événements marquants d'une vie de passions, des phénomènes de mode, diverses mœurs d'époques récente ou ancienne, des aventures humaines faites de voyages, de découvertes et de hasard. Ils sont les relais d'une mémoire existentielle propre à chacun !

A vous d'en enrichir l'innombrable quantité et la multitude des variétés. Je ne doute pas que vous soyez vous-même concerné et encore plus original ! D'ailleurs, qui n'a pas chez lui, un album, une bibliothèque, une discothèque, une CD thèque ? Qui n'est pas un collectionneur sans le savoir ?

Certaines collections sont bien évidemment plus insolites ou plus étranges que d'autres : crèmes de gruyère, images pieuses, canards en plastique, coquilles d’œuf, opercules, armes, dés à coudre, drapeaux, étiquettes en tout genre, miniatures de parfum, morceaux de sucre (faut-il être fondu !), écussons, sacs plastiques, pattes de lapin et même cordes de pendus !

Moi, je désirerais vous plonger les mains dans une autre collection, la mienne ! Familiale et surprenante, je vous offre celle des savons et des savonnettes publicitaires d'hôtel, dites de courtoisie ! Bienvenue au club des saponiphiles et sapopubliphiles !

Pourquoi, cette lubie a-t-elle mobilisé toute notre famille, au point de ne jamais oublier de ramener de nos différents séjours, les échantillons qui étaient offerts gracieusement à la clientèle ? Il faut bien, en souriant, hasarder quelques explications générationnelles et généalogiques, quitte à extrapoler beaucoup !

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Enfance : La cafetière et le moulin à café 2/2

Publié le par modimodi

 CONF 4

Aujourd'hui, avec les capsules, les dosettes à insérer dans la machine à café, vous ne percevez plus l'odeur d'arabica au moment du pressage. Vous humez uniquement pendant le filtrage ou le service en tasse.

Le progrès a privé les dégustateurs de leur odorat pour privilégier le goût. C'est ainsi, qu'on les fait voyager en vantant la typicité des cafés de pures origines (bourbon, robusta...), évidemment tous des grands crus de Brésil, Colombie, Équateur, Éthiopie, Pérou, Mexique, Égypte, Kenya, Jamaïque...

Alors, vous vous laissez séduire par les descriptions subtiles de leurs nuances : une force douce, légère, équilibrée, charpentée, corsée. Vous êtes intrigués par la nouvelle expérience que vous offrira un Maragogype, un Moka, un Sidamo, un Santos, un Excelso ! Votre imagination travaille pour spéculer sur la complexité de leurs arômes : fruités, floraux, épicés ou chocolatés. Vous cherchez des références différenciatrices pour retrouver la chaleur des déserts, la fraîcheur des hauts plateaux. Vous aimeriez bien être en capacité d'apprécier la plénitude des sensations de tous les parfums et les goûts promis : ronds, capiteux, boisés, herbeux et légèrement acides, sucrés ou cacaotés !

Leur provenance exotique et leurs qualités délicates s'affichent sur la carte du dessert pour en faire un argument raffiné de dégustation, voire rehausser le prestige de la table. Quelle insolence que le choix ! La tentation d'une nouvelle expérience ou la poésie des mots finit souvent par l'emporter. Tout ça pour ça ! Car il est un peu fort de café de commettre alors, le sacrilège de le sucrer ou d'y ajouter crème ou lait !

Si votre génération Moulinex, Nespresso a perdu la primeur odorante du café à moudre vous ignorez aussi le rituel de son élaboration. A l'époque, un même verbe résumait le parfait accord temporel entre "passer son temps et passer le café". Pour nos anciens, c'était simplement le bon temps qu'il fallait prendre !

Pour y parvenir, il convient de disposer d'abord de trois éléments indispensables : une cafetière, de l'eau bouillante et un filtre. La cafetière en fer émaillé vert a un double usage, elle sert à le préparer et à le servir. D'abord, il faut transvaser les cuillerées de café moulu dans le filtre, un récipient conique posé sur le haut du pot, tapissé d'un papier absorbant ou d'une toile, une sorte de bourse de coton. "A la guerre, comme à la guerre !" Dans les tranchées, une vieille chaussette faisait office de filtre. Vive le "système D avec la chaussette DD !"

Il ne vous reste plus maintenant qu'à verser doucement l'eau en ébullition sur la mouture et à la laisser gonfler, mousser et pénétrer, distillant en tombant un goutte à goutte de café odorant et infusé. Peu à peu, le bas de la verseuse se remplit, prête à la distribution du fameux breuvage qui sera servi délicatement dans une tasse ou un bol. Un exquis raffinement encourage même à disposer au-dessus du moulu, quelques grains de chicorée qui formeront un duo d'arômes et de saveurs douçâtres .

En fonction du nombre de cuillerées, du dosage de café moulu, vous obtenez un café délicat, agréable et savoureux qui vous séduit du bout de la langue. Dès la première gorgée, il enchante votre palais et reste long en bouche. 

Mais comme les Italiens, vous pouvez le préférer, tiré d'un percolateur, en expresso et ristretto, c'est-à-dire fort, puissant, charpenté et serré. Un franc réveil tonique garanti, contenu dans deux larmichettes mousseuses perdues au fond d'un rince-œil qui auréoleront vos lèvres d'une couleur café, crémeuse !

Faire un bon café nécessite du doigté et de l'expérience. Une casserole ad hoc permet souvent de doser la quantité de liquide frémissant bien mieux que ne le ferait le simple bec verseur d'une bouilloire. Sinon, vous noyez la préparation et vous obtenez un café clair, dilué, fade, insipide, une lavasse comme celle du front, appelée "jus de chaussette." Nous ne savons pas si cette dernière, mal rincée, accumulait au fil des opérations une teinte brune et s’imprégnait finalement de l'odeur tenace du café... Une chose est sûre ! Le liquide dans le quart, copieusement chargé de marc était à couper au couteau et donnait autant à boire qu'à manger !

Attention ! Si pour reprendre de temps en temps, dans la journée un petit jus, vous mainteniez la cafetière au chaud, à l'arrière, sur le fourneau, il fallait veiller à ne pas faire bouillir son contenu. Car comme le dit le dicton, entendu autrefois au café du commerce, entre clients accoudés au comptoir devant un petit noir et un pousse-café : "café boulu, café foutu !"

Voilà, si vous êtes vous-même frappé du café, au point de vous jaunir les dents, si vous parvenez à lire l'avenir dans le marc de café, si vous êtes un adepte frénétique de la pause-café au travail ou du caf'conc' dancing dominical, rien n'est trop inquiétant ! Si vous pensez avoir un grain et si vous êtes moulu, écoutez "The coffee song" de Franck Sinatra en dégustant un café liégeois revigorant et arrêtez de broyer du noir !

Jacques Prévert réveille votre conscience et vous invite à relativiser en évoquant une situation bien pire, dans "La grasse matinée" : 

"Il est terrible

le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d'étain

il est terrible ce bruit

quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim...

Ça ne peut pas durer

ça dure

trois jours

trois nuits 

sans manger...

Un peu plus loin le bistrot

Café-crème et croissants chauds...

L'homme titube

et dans l'intérieur de sa tête

un brouillard de mots

un brouillard de mots

Sardines à manger

œuf dur café-crème

café arrosé rhum

café-crème

café-crème

café-crime arrosé sang !...

Un homme très estimé dans son quartier 

a été égorgé en plein jour

l'assassin le vagabond lui a volé 

deux francs

soit un café arrosé

zéro franc soixante-dix

deux tartines beurrées 

et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon."

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Enfance : La cafetière et le moulin à café 1/2

Publié le par modimodi

 CONF 3

Mes gens, je me fais vieux !

Vous souvenez-vous de cet air populaire en vogue ? "Quand quelque chose nous désole/ C'est du café qui nous console. Vive le café ! Vive la casserole !"

P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non !... Nous vivons aujourd'hui le progrès automatisé dans le confort instantané. L'électricité a révolutionné l'industrie et simplifié nos usages domestiques. Grâce à son énergie, il suffit simplement de brancher la cafetière électrique et d'appuyer sur le bouton pour que la magie de la fée électricité opère.

Vous qui avalez au petit-déjeuner votre café encore brûlant pour ne pas être en retard, vous qui le dégustez en famille, entre amis, à la fin d'un bon repas, vous qui le savourez en terrasse face à la mer, avez-vous connu l'époque des moulins à café mécaniques ?

Si oui, vous n'avez pas pu oublier l'arôme du café frais moulu, obtenu en broyant les grains. Vous vous rappelez sûrement de l'objet indispensable à chaque foyer : le moulin à café ! Vos grands-parents en avaient forcément un qui vous attend dans la poussière du grenier endormi...

La mode est au vintage et votre découverte est aujourd'hui un objet de collection à retrouver chez les antiquaires ou simplement, à même le sol des trottoirs, lors des vide-greniers dominicaux. Il suffit de chiner ! L'un d'entre eux vous attend ! La fabrique de "Peugeot frères" en a commercialisé 56 modèles différents déclinés en 280 versions variant les essences de bois, les tailles, le matériau des calottes, les couleurs et les décors. A chaque moulin, son style ! A chaque cuisine, sa fantaisie !

Son histoire est passionnante. Elle remonte au XVIème siècle et s'inspire, en coïncidence avec l'arrivée du café en Europe et des moulins à poivre. De nombreux musées spécialisés en exposent encore différents modèles de périodes et de pays différents. D'ailleurs, chaque musée rural qui met en scène la vie paysanne ou villageoise au siècle dernier et qui cherche à en recréer l'atmosphère, présente l'objet en situation vivante. Le moulin est sur la table autour de laquelle a pris place la famille nombreuse tandis que la cafetière est sur le poêle rougeoyant.

Moi, j'entends encore la voisine inviter ma grand-mère à boire une tasse, "une jatte d'jus !". Cette courtoisie d'après-midi était réciproque, tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre. Temps de pause où l'on tricotait, échangeait les potins et les confidences, faisait des essayages de robe fabriquée maison, à partir d'un patron choisi sur un modèle de "modes et travaux".

Avez-vous connu ce temps du rituel quotidien qui précédait la dégustation d'un café ? Rappelez-vous le moulin familial : un cube rectangulaire de bois marron, surmonté d'un bol métallique à semi-ouverture dans lequel on déversait précautionneusement le café, qu'on moulait à l'aide d'une manivelle en acier, à poignée en bois. N'oubliez pas, de bien fermer à sa base, à l'aide d'une vis fragile, le précieux tiroir qui recueillera le bon café moulu. Sinon, vous êtes préposé au balayage du précieux sable marron noir.

Entendez-vous le bruit craquant des grains que le mécanisme en acier, à arbre horizontal écrase méthodiquement dans un bruit de mitrailleuse ? Je sais pour m'y être essayé que le tir n'est pas automatique et que le démarrage du concassage exige des coups de poignets énergiques. Pour en ébranler la masse, il convient de ne pas trop charger l'opercule. Pour ne pas en renverser, une mini pelle chargée de grains marron foncé, luisants et cirés l'emplit délicatement. Alors, par bouffées, leur odeur forte et envoûtante, à l'état brut de café torréfié, s'exhale puissamment.

Bien sûr, la famille entière veillait au grain ! L'or noir était précieusement conservé dans une boite hermétique décorée, qu'on posait sur l'étagère à côté des bocaux marqués : "farine, sel, sucre". L'ayant photographiée du regard, j'ai su très tôt écrire le mot café. J'ai pu ainsi éviter à mes résultats scolaires de boire d'emblée la tasse.

Je me revois encore poser fermement ma main sur celle de maman pour participer tendrement à l'opération rythmée du broyage. L'époque où je parvins en autonomie à soulager les mains arthrosiques de ma grand-mère, correspond au début de mon adolescence. Mon frère cadet, qui voulait m'imiter, avait pris l'habitude en tournant la manivelle de chantonner à contre-emploi : "Meunier, tu dors, ton moulin va trop vite ! Meunier, tu dors, ton moulin va trop fort !" Nous nous en amusions !

C'est sûr ! Vous n'avez-pas pu oublier l'odeur délicieuse du café frais moulu, sitôt qu'on ouvrait le tiroir. Le parfum vous prenait les narines, excitait vos papilles bien avant d'en retrouver les arômes en bouche. La maison embaumait le café et il n'était pas rare d'entendre quelqu'un sortant d'une autre pièce, s'écrier : "Hummm ! Ça sent bon le café !" 

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Enfance : Le cheval à bascule 2/2

Publié le par modimodi

 CONF 6

En général, les sexes et les genres sont généralement différenciés par le choix des jouets. Nous avons parfaitement illustré la norme admise.

Nous étions trois enfants à la maison, une fille et deux garçons. Sans tomber dans les stéréotypes souvent répandus et tenaces, j'admets volontiers que si chacun jouait à la balle, sautait à la corde et câlinait son nounours, nos occupations ludiques étaient dissemblables. 

Ma sœur jouait avec ses poupées et son baigneur, sa dînette, son nécessaire de toilettes, sa trousse à maquillage, ses colliers de perles, ses bijoux à fabriquer et ses châteaux de princesse... Mon frère et moi préférions jouer aux billes, faire des courses de voitures, manipuler et guerroyer avec nos soldats de plomb, combattre en preux chevaliers à l'épée, tirer du revolver comme des gangsters et arborer nos panoplies d'indiens....

Mais ce que j'ai toujours aimé le plus, c'était de me balancer dans mon cheval à bascule. Combien de fois, je m'y suis endormi, bercé par le mouvement lancinant qui oscillait ma vision d'avant en arrière et la troublait peu à peu, estompant la netteté des objets et du décor.

Je me revois encore enfourcher mon ami, en bois clair, m'asseoir à califourchon, sur la selle-siège, empoigner chaque bâton d'oreille et d'une poussée vers l'avant du corps commencer à balancer. J'ai tout de suite la sensation d'avancer, de trotter puis dans un rythme croissant de galoper. Au comble de l'excitation, je marque mon plaisir de bruyants éclats de rire tout en caracolant, les mains accrochées à la crinière de mon petit Pégase.

Même en grandissant, lors de la ducasse annuelle du village, je grimpais invariablement sur les chevaux de bois, qui en montant et descendant me donnait à nouveau, l'illusion de galoper. Rênes en mains, pieds calés dans les étriers, j'entreprenais des chevauchées débridées, renforcées par la vitesse du manège.

Je laissais à ma sœur la balancelle de son carrosse de princesse, tandis que mon frère tournait frénétiquement le volant de sa voiture de sport. Pour faire un maximum de bruit, il klaxonnait avec ardeur, en appuyant sur une belle grosse poire rouge, aux cris rauques et enroués. Je l'entends encore. Mais au-delà du bonheur retrouvé sur mon cheval à bascule, j'étais une fois perché dessus, favorisé pour attraper le pompon qui donnait droit à un tour de manège gratuit.

Aujourd’hui le temps a passé pour me convertir en cheval de retour. J'évoque avec une douceur nostalgique ces amusements enfantins. Je mesure comment mon imagination m'a permis de vivre d'un cœur chevaleresque de folles aventures. J'imagine aussi qu'ils ont influencé ma vie.

On me dit à cheval sur les principes et toujours prêt à enfourcher le cheval de bataille de mes convictions. En effet, je ne me laisse pas désarçonner par la difficulté. Je suis plutôt franc du collier et n'hésite jamais à monter sur mes grands chevaux. Impossible de m'en balancer quand je suis emballé de tous mes sabots par une noble cause.

Quelques belles pouliches ont testé mes côtés fringants et fougueux. Lorsqu'elles ont tenté de convertir mon jeu de dames en jeu d'échecs, je n'ai alors pas hésité à dévoiler mes aspects ombrageux et à prendre le mors aux dents... Je n'ai pas succombé à leurs jeux d'amour, lorsqu'elles ont voulu me bercer de promesses et d'illusions pour me faire tourner bourrique. Sans ruer comme une rosse, je suis alors parti, à bride abattue, battre la verte campagne.

"Qui veut voyager loin ménage sa monture". Aujourd'hui, c'est moi même que je cravache pour garder la joie de jouer avec les plaisirs de la vie, sans être vieux jeu... Je ne suis pas un crack mais mon dada, c'est de dompter l'écriture et les jeux de mots rythmés et renversants, du grand rodéo littéraire. Je veux divertir le plus grand nombre sans faire vaciller son intérêt ni le faire chuter dans la lassitude.

Je ne prendrais pas le risque de finir moi-même étrillé. J'occupe une grande partie de mes passe-temps à distraire chacun pour éperonner sa curiosité. Je m'efforce toujours, sans le désarçonner, d'emporter le lecteur, sur le cheval à bascule de l'émotion de mon enfance.

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Enfance : Le cheval à bascule 1/2

Publié le par modimodi

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Je viens de retrouver dans le grenier de la maison de mes parents, mon cheval à bascule. Une bouffée d'émotion m'envahit, des souvenirs de bonheur affluent à ma mémoire, je suis bouleversé en profondeur, mon cœur se serre, envahi de douceur. Maman, papa, que de joies vous m'avez offertes. Vous aviez tout compris !

Sans avoir fait de grandes études, vous aviez d'entrée de jeu, naturellement admis que les jouets font partie du monde enchanté de l'enfance. Sans doute, vous-mêmes, tout petits, aviez-vous pu découvrir les plaisirs immédiats du jeu ?

L’insouciance de mes premières années a favorisé ce besoin d'occuper mes temps libres par de multiples distractions. D'ailleurs, j'ai la certitude que ma pratique individuelle, tantôt bruyante ou silencieuse, assis ou à quatre pattes dans mon parc en bois, vous a bien soulagés. Je vous ai laissés la possibilité de vaquer à vos occupations.

Je sais aujourd'hui que le jeu est bénéfique à tous. D'où l'invention incessante de nouveaux produits mis en vente, l'importance économique grandissante du secteur et son colossal chiffre d'affaires. Les bourses aux jouets et les brocantes sont même l'occasion de leur donner une seconde vie ! On peut y trouver d'innombrables jouets mécaniques, en plastique ou en bois qui ont déjà une histoire secrète et même ma préférence, des chevaux à bascule !

En effet, l'intérêt des petits pour les joujoux les plus divers ne s'est jamais démenti ! Il devient même parfois impérieux et tempétueux chez de jeunes insatisfaits, avides de nouveautés au point de faire naître bruyamment bouderies et colères.

La jeunesse comme le jeu est sans doute éternelle ! Cet enthousiasme poursuit encore pendant bien longtemps les adultes, dans la passion par exemple, d'un train électrique, dans des jeux d'esprit ou dans les rituels des jeux de hasard... Au fond, nous sommes tous de grands enfants ! Tant qu'on ne court pas la folle aventure de jouer de malchance avec le feu des addictions ou encore plus bêtement de courir le risque suprême de jouer avec sa vie, le jeu n'est pas dangereux.

Heureusement, chaque fête ou anniversaire, chaque récompense donnent l'occasion d'offrir ou de recevoir des cadeaux. Une fois l'attente comblée, nous l'avons tous, un jour constaté, les visages qui s'illuminent ne mentent pas. A cet instant, la vérité retrouve sa pureté. Quelle joie dans les yeux, quelle innocence dans le bonheur ! Il ne faudrait jamais grandir !

Le jeu n'a pas d'âge ! L'origine des jouets remonte sans doute à la préhistoire. Des poupées personnifiant des enfants, des bisons ou chevaux stylisés, diverses figurines représentant des soldats ainsi que des outils ayant servi à les fabriquer ont été retrouvés lors de fouilles archéologiques. Chance immémoriale ! Je peux, en fermant les yeux dans mon rocking-chair me mettre en synchronie avec un lointain ancêtre et me bercer d'illusions immémorielles !

Oh ! Le cheval à bascule ne remonte sûrement pas au déluge. On sait qu'il était en vogue en Angleterre, dès le 17ème siècle. Probablement influencé par les berceaux à bascule, il a pris la forme d'un cheval de bois, réputé alors comme le jouet préféré des enfants. Au 18ème, il est assez fréquent mais généralement monté sur roues et recouvert de peau de vachette brune ou de tissu. En 1872, Claude Monet a peint son fils Jean, sur son cheval à bascule. 

De tout temps, l'important, c'est le pouvoir du rêve, la force qu'a l'esprit de l'enfant pour transformer le moindre objet en une autre matérialité. Encore aujourd'hui, un rien, un bout de bois ramassé, un objet quelconque trouvé peut devenir un trésor ou un jouet que l'imagination transforme aussitôt en avion, en camion, en château, en licorne, en dinosaure... Dialogue intérieur d'histoires fantastiques que j'aimais inventer! 

D'ailleurs, pour le développement de l'intelligence et la différence progressive à faire entre le réel et l'imaginaire puis le virtuel, ces libres jeux de construction fictive sont très importants. Avec le cheval à bascule de mes cinq premières années, ils m'ont, sans m'en rendre compte, construit en me permettant de donner sens à l'univers et de prendre place dans le monde.

Il est d'ailleurs communément admis que la variété des jouets récréatifs ou éducatifs ainsi que la relation de jeu établie avec un animal permettent de développer la socialisation. Surtout, lorsqu'elles sont partagées entre copains ou au sein de la famille... Qui d'entre vous n'a pas joué à cache-cache, au Monopoly, au jeu des sept familles, au Scrabble, aux cartes ou à la console ? Qui n'a pas pris plaisir à faire courir et aboyer le chien dans un échange de passe-passe ballon ? Qui n'a pas rugi comme un lion, grogné comme un ours, en battant des pattes, craché du feu comme un dragon, galopé comme Tornado, cheval noir de Zorro et retrouvé, sans le savoir, son cheval à bascule en hennissant comme un Centaure ?

Qui n'a pas posé de devinettes ou eu, le soir, la chance de lire un livre, de raconter une histoire pour peupler de rêves magiques la nuit des enfants ? Mes chers parents, soyez à jamais bénis de m'avoir offert ce fin et intime bonheur. J'entends encore vos voix qui s'envolent dans le ciel piqué d'étoiles et qui rejoignent la mienne, quant à mon tour, je perpétue la tradition pour Charles et Lucie.

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Lettre au chef de gare, aux maçons italiens et à Maurice : Le sifflet

Publié le par modimodi

 TQP  AP BAL Je remue de temps en temps, les boîtes aux trésors de mes souvenirs d'enfance. Parmi le fouillis hétéroclite des soldats de plomb, canif, pièces, médailles, voitures, toupies et coquillages, je viens de retrouver mon sifflet en métal !

Je le dépoussière avant de le porter à la bouche. Je souffle puissamment dedans mais je n'obtiens, à mon grand étonnement qu'un roulement sonore, qu'un glou glou, qu'un son plaintif, entre le sanglot et le cri étouffé.

A cet exercice, j'étais sans aucun doute, bien meilleur, enfant, lorsque je cassais les oreilles de mes parents en déambulant fièrement dans la maison, genoux bien hauts, d'un pas martial ! Un coup de sifflet à chaque enjambée ponctuait un petit mouvement de menton de ma tête à casquette galonnée.

Inutile de vous décrire la joyeuse ambiance quand de surcroît, ma chienne Carmen, une mignonne petite cocker noire me suivait en jappant, hélas à contretemps ! Je m'imaginais imprimant le rythme, à la tête d'une troupe triomphante qui défilait avec panache, dans la rue principale du village. Je croyais même entendre leurs hourras et leurs applaudissements qui couvraient le son aigu de mes sifflements impétueux.

Mais mon bonheur était à son comble, quand je réussissais à enrôler dans la clique, ma gentille sœur Marie et ses amies. Je menais, à force coups de sifflets, la revue des petites majorettes !... C'est probablement à cette époque que j'ai dû inconsciemment ressentir mes premiers émois innocents. A les voir ainsi tenter des figures gymniques et lancer bien haut leurs gambettes de nymphettes qui soulevaient avec légèreté leurs jupettes, je sais que j'ai éprouvé un réel plaisir. Trouble indicible des primes visions de chair rose et nacrée ! Je garde particulièrement vivace, le souvenir ému de la petite Céleste…

Mais voilà que je crois entendre le coup de sifflet du chef de gare et que remonte à ma mémoire une flopée de souvenirs d'été. Je me revois courant sur le quai, une petite valise verte à la main en compagnie de ma sœur, mon frère et de papa, maman.

Je sens encore l'odeur de graisse sur les bras luisants des roues, je vois les crachements chuintants des jets de vapeur blanche sortant des flancs de la bête, je perçois les hoquets de la locomotive bouillante, les soupirs essoufflés de la machine fatiguée.

Impressionné, je défie du regard ce taureau vigoureux aux muscles huilés qui va nous emporter. Mais il me faut auparavant affronter les trop hautes marches du wagon, qui m'attend porte ouverte. Heureusement, mes petites jambes parviendront à les escalader, grâce à la poussée généreuse et énergique de mon bien aimé père.

"Attention à la fermeture des portes ! Attention au départ !" lance à plusieurs reprises, d'une voix nasillarde, le haut-parleur de la gare. "Attention au départ !" Au triple coup de sifflet du chef de gare, le train s'élance, dans un coup de rein courageux et puissant. En route pour les Flandres et les moulins de Don Quichotte ! Trois semaines de vacances, de joies estivales ! Le bonheur simple et vrai d'une famille unie !

Aujourd'hui, dans son usage commun, le sifflet a perdu en utilité notoire, à part encore pour les arbitres de matchs sportifs ou les policiers et gendarmes régulant la circulation. Mais par le passé, il jouissait à mes yeux d'enfant d'un grand prestige. Il incarnait l'autorité de la force publique, inconsciemment, une figure paternelle ou ancestrale.

Je me revois encore sifflet aux lèvres, jouant à régler un flot de véhicules imaginaires. Je ne m'épargnais pas les efforts, gesticulant et moulinant des bras, tournant sur moi-même dans toutes les directions, à m'en donner de vertigineux tournis. Oh ! J'étais impressionnant quand je levais mon bras, main ferme, paume tendue en opposition pour stopper énergiquement un automobiliste trop impétueusement pressé. Mon coup de sifflet était alors magistral et s'il le fallait redoublé.

Je me souviens. Mes maîtres aussi avaient un sifflet pour les leçons de gymnastique ou pour me faire ranger dans les rangs, parmi mes congénères. Aujourd'hui, même avec un rappel à l'ordre, il semble plus difficile de mettre la jeunesse au pas et de la faire rentrer dans le rang…  A cette époque, moins sollicités par les gadgets et les médias, un simple sifflet nous impressionnait et nous appelait à l’obéissance.

Un autre souriant souvenir affleure à ma mémoire. Je me revois tenter de siffler avec la bouche. Quelle rigolade ! Mes premiers essais ressemblaient plus à des grimaces, des chuintements inefficaces et des soupirs chargés de postillons. Je sifflais comme une bouilloire. Même résultat avec les mains ! Mes tentatives n'étaient que des succions de doigts léchés sans arriver à sortir le moindre son.

Mon ami Gino, un garçon italien qui sifflait à merveille de toutes ses pinces, d'une main et des deux mains, se moquait amicalement de moi. J'appris plus tard que c'était dans sa culture, un talent presque inné, d'autant que son père était maçon et avait dû s'exercer. Suivant la légende urbaine, les maçons italiens, manches retroussées, sifflaient au soleil, les jolies filles pulpeuses et pétillantes, du haut des échafaudages. Les cinéastes italiens en ont fort bien rendu l'ambiance dans les rues bruyantes et animées des villes.

J'y parvins moi aussi mais difficilement. Il le fallait pourtant, si je voulais me voir conférer la reconnaissance de mes camarades qui se prenaient pour de petits durs ou de grands caïds. Quand nous jouions aux gendarmes et aux voleurs, nous usions et abusions de cette méthode pour appeler ou avertir d'un danger. J'appris plus tard que ce prestige était vulgaire, sauf pour siffloter un air de chanson ou de musique. J'avais une amie, gentil rossignol, qui excellait à le faire. On attribua ce don à une oreille musicale parfaite ; elle devint, je crois, flûtiste ou saxophoniste.

Certains jours de jeune et gai printemps, quand l'air est tiède et aimable, il m'arrive encore de le faire en chantonnant, comme le pratiquait un vieil original de mon patelin. Impossible de le croiser sans l'entendre siffler l'air d'une rengaine à la mode. Figure populaire, les habitants du bourg lui réservèrent un dernier hommage. Quand il partit siffloter avec les anges, on inscrivit sur son faire-part : "Maurice, dit le merle siffleur" ! 

Oui ! J'ai gardé ma joyeuse âme d'enfant, docile quand il le faut, rebelle si nécessaire. Je n'ai d'ailleurs jamais obéi au doigt et à l’œil et personne ne s'est aventuré à me siffler comme un chien ! Sans doute, parce que j'ai moi-même ce qu'on appelle du chien d'autorité et que j'impressionne peut-être un peu ! Comment s'étonner d'ailleurs que quelques persifleurs disent, que par excès d'idéalisme et par manque de modestie littéraire, j'enfle déjà des chevilles. Je crois le deviner, car souvent mes oreilles sifflent.

Enfin, jusqu'à présent, j'ai évité de décevoir mon entourage m'épargnant ainsi quolibets, huées ou sifflets moqueurs et réprobateurs. Je me suis d'ailleurs méfié des louanges faussement admiratives et trompeuses de mes contemporains, spécialistes de l'appeau ou des coups de brosse à reluire. Peut-être, par instinct de survie, j'ai pu, jusqu'alors, résister à l'appel des sirènes, fussent-elles sublissimes, à me couper le souffle ou le sifflet.

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Lettre sans fin : Manques et besoins d'amour

Publié le par modimodi

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Ma douce amie, rien ne te manque ! Pourtant, il est des moments de vide dans l'existence. Des moments cafardeux où sans savoir pourquoi, tu ressens comme une boule au ventre, un creux au cœur, un appel des profondeurs. Ce trouble est indéfinissable. Il t'envahit de sa mélancolie, comme l'ombre du désenchantement ! Il te déchire comme un adieu, il te tourmente comme une absence. Tu t'enivres du bouquet des pavots de l'ennui, tu te fanes dans la décomposition suave des fleurs du mal de vivre.

Ce spleen est ton Sturm und Drang. Il pèse sur tes élans, ralentit tes envols, te voilà albatros. Tu habites les trous de ta mémoire, oublieuse des instants de lumière et de bonheur à claire joie. "C'est bien la pire peine, de ne savoir pourquoi, sans amour et sans haine, mon cœur a tant de peine"... Tu frissonnes au soleil.

Tu murmures plaintive, quelques vers de Musset et de Baudelaire. Tu te languis, apitoyée sur ta faiblesse, l'espoir s'échappe, la vie s'enfuit ! Tu relis Ossian, tu souffres avec le jeune Werther. La passion se dérobe, la tristesse envahit ton âme ! Tu te sens seule et perdue.

Moi, dans l'ombre de l'amour, je le constate impuissant. Des papillons noirs sortent de mon encrier pour envahir ma page devenue sombre. Mes mots t'effleurent. Tu te retires en toi. Le manque semble t'avoir ôté le goût des ivresses et de la passion. Loin des yeux, loin du cœur, tu te sens défaillante et inexistante.

Mon tendre amour, je ressens cette insuffisance. Pourquoi le monde est-il empli de ce tumulte et avance-t-il au rythme de cette marche funèbre ? Pourquoi cette inquiétude et ce découragement, ce chagrin suspendu ? Il est des énigmes que je n'arrive toujours pas à comprendre !...

J'y réfléchis pourtant... Arrêtons-nous un instant dans l'ombre douce des confidences et prenons, toi et moi, simplement un principe premier, celui de la vie. L'homme la reçoit pour la donner à son tour comme un précieux cadeau, un coffret de velours rouge éclatant !... En son écrin, l'élan, le souffle, la première étincelle de la création du feu brûle en nos désirs et enflamme nos corps.

Qu'on le veuille ou non, personne n'échappe à son destin... La nature accomplit dans la complexité son œuvre mystérieuse et alchimique entre l'amour résolu et le hasard aveugle, le besoin et les désirs, la matière et l'esprit ! Tu le sais, c'est ainsi qu'on vient au monde inconnu dans le plus riche dénuement, doux et ouaté, soyeux et peluché !

De fait, la vie est immanquable et pourtant certains, par manque de chance et de bonne étoile, la manquent lamentablement ! Pour quelles raisons ? Faut-il ici accuser les maladresses de ceux qui n'en manquent pas une ou constater par ailleurs, les carences de ceux qui manquent de tout ! Doit-on alors s'étonner que ceux qui réussissent ne manquent pas de faire preuve de dédain, en raillant ces ballots pour les traiter, à cœur joie, de ratés !

Apparemment, tout ne serait donc pas si simple ! Il ne suffit pas de recevoir la vie, il faut la faire fructifier et se garder, autant que faire se peut, de manquer de moyens et d'espoir ! Mieux vaut un trop perçu qu'un manque à gagner, mieux vaut des largesses que des restrictions. Pour vivre décemment, il est indispensable de posséder, au moins le nécessaire. Faute de quoi, nous aurions beau rêver d'une vie de château, nous ne connaîtrions qu'une vie de bohème. La grande vie rêvée ne serait que celle du patachon ou de l'agitation des bâtons de chaise ! Douceur de l'espoir, rudesse du quotidien !

Mon tendre cœur, moi, avec toi, je ne crains pas la pénurie de tendresse ou de câlins, je ne crains que le manque de temps pour nous vivre pleinement notre tendre affection. Tu le sais, je ne manquerai jamais à ma parole. Je ne redoute que le manque de voix pour te murmurer mes "je t'aime" et le manque de mémoire pour oublier de te le dire !

Avec toi, je suis au comble de la félicité mais il me faut toujours craindre qu'elle ne vienne un jour à manquer. En amour, nous pouvons manquer d'expérience mais jamais de cœur ni d'esprit. Ainsi, nous ne risquons jamais de souffrir de l'abondance de sentiments ni de la surabondance d'idées ! Notre amour est sans fin: plénitude et manque à la fois dans notre quête éperdue d'absolu et d'idéal.

Doutes-tu  de l'avenir et de notre constance ? Redoutes-tu cette indigence de preuves, ce dénuement dans les manifestations de notre passion charnelle ? As-tu oublié que la rose des sables qui fleurit au désert est constituée des baisers que les souffles du  vent offrent en rafales à la dune ? Rien ne te manquera jamais. Je me cristallise tendrement et lentement au plus profond de ton être. Entends la voix des djinns qui te murmure mon amour.

 

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