Lettre aux volubiles et aux baratineurs : Parler pour ne rien dire 3/3
PROV
Les mots du cœur et du corps
Ceux qui ont la langue bien pendue, ne savent pas assez la garder dans la poche... Le drame du volubile, c'est qu'il parle et débite ses propos intéressants ou ses fadaises sur le même mode. Il croit naïvement être entendu. Mais souvent l'autre reste sourd et lui sourit complaisamment en pensant : "Cause toujours, tu m'intéresses !"
Le chameau qui déblatère ne donne pas envie de prendre langue avec lui ! Inutile d'en baver davantage ! Faites comme moi, avec un lèche-babine, moi, vite je m'débine ! Car le bavardage finit toujours par lasser l'auditoire. En effet, celui qui ne dit mot, ne consent pas toujours à vous écouter. Il ne faut converser qu'avec celui qui veut vous entendre ou parler... à votre bonnet !
Qui comprendra, ceux qui lassés de parler à leur miroir, à leur page blanche, à leur tablette graphique, au ciel toujours vide et muet font, en total espoir de cause, de la parlote ininterrompue ? Dans un ailleurs, en apartés, avec les ombres, avec les mouches, avec les muses ... le front collé aux vitres, en dialogue avec le silence... Alors surtout, quand vous les croisez, n'allez pas penser qu'ils divaguent, réduits aux errances d'idées sans queue ni tête ! Ils parlent !... Oui, pour ne rien vous dire, réservant leurs murmures ou leurs cris d'amour, de peur ou de joie, aux anges et aux étoiles qui passent dans les nues, en leurs têtes !
Vous pratiquez parfois d'instinct cette étrange attitude de communication !... Ainsi pour intriguer votre interlocuteur, vous lui parlez à demi-mots, vous laissez planer le doute, vous entretenez mystérieusement l'allusion en l'exprimant à mots couverts ou par images.... Le poète ou l'écrivain procède ainsi ! Il sait bien qu'il lui faut toujours mâcher ses mots en ruminant d'un air inspiré les fleurs de la rhétorique... Oui, mes amis, mes compagnons de panache, vos paroles s'envolent comme des plumes mais vos cris vains et lourds de mots et d'amour comme tous vos écrits restent comme des pierres sur le chemin de la pensée...
La parole qui s'élabore, d'abord dans le silence, y demeure. Ainsi, quand deux êtres se comprennent et fusionnent, sans mot dire, le silence du cœur est suffisamment éloquent. Si la parole appartient à l'éphémère du temps, à l'évanescence de la pensée, le silence appartient au mystère, à ce qui est à naître, à l'éternité. C'est l'or du temps.
Oh ! Oui, soyez volubiles mes amis, si c'est pour murmurer ou crier votre amour. Moi, je l'ose et je m'exclame : Ô mon amour ! Parlez-moi d'amour !... Je vous crois sur l'aphonie de vos paroles !...
Pourtant, l'amour, le seul, l'unique, le vrai, peut se passer de mots, surtout s'il est démonstratif. Vos yeux, vos soupirs, votre pâleur ou votre empourprement sont parlants. Ils disent non pas ce que vous avez sur le cœur mais dans le cœur...
Déjà, avec pudeur, vous vous dévoilez ! Votre âme impalpable se met à nu. Inutiles sont tous vos aveux. Jamais, vous ne parviendrez aussi bien à dire l'ineffable saisissement, l'indicible trouble et l'inexprimable choc, dans tout votre corps, des frissons et des tremblements !
Oui ! Aimer pleinement, ce n'est vraiment pas, peu dire ! Alors, heureux amants, ne vous le faites pas dire deux fois ! Parlez bien vite avec les mains ! Mettez-les vite au feu ! A voix haute comme à voix basse, soyez éloquents ! Parlez vrai ! Confiez-vous ! Abandonnez-vous ! Au rapport ! Vite et que ça saute !
Exclamez-vous ! Murmurez votre tendresse ou hurlez votre bonheur ! Jubilez votre liesse ! Déclamez à pleine puissance votre jouissance et vos extases ! Vous pouvez balbutier, bafouiller et tâtonner, vous pouvez bredouiller, palabrer, vous y reprendre à deux, trois fois et plus... si affinités et résistance.
Vous êtes assignés aux plaisirs. Prenez votre temps. Ne tarissez pas de mots tendres et de preuves de douceur. Soyez à fleur de peaux, de lèvres et de mots toujours touchants et caressants. Vivez si m'en croyez toujours en plénitude. La passion vous déliera la langue. Ayez de l'amour comme de l'eau fraîche, plein la bouche. Épanchez-vous en libations enivrantes.
Ne récitez pas les mots des autres, fussent-ils ceux des poètes ! Vous êtes libres de sens, d'émois et de licences. Soyez naturels, vous serez créatifs. Laissez-vous bouleverser par le bouillonnement de vos sentiments, soulever et perturber par l'affolement de vos sensations. Vous ne pouvez mettre fin au désordre. Nulle résistance ! Vive le silence ! "un ami qui ne trahit jamais", comme l'a dit Confucius dans "le livre des sentences".
Il suffit de lâcher prise, de vous laisser emporter par le torrent des émotions, submerger et envahir par le tumulte de la passion. Vous roulez comme un galet dans le chant cristallin de l'eau... En perdant la raison et la volonté, vous perdez toute notion du temps. Vous êtes un instant, un souffle, un envol !
Votre amour est extraordinaire et original de délicatesse et de grâce. Il vous élève, il vous emporte. Il vous rend irréels. Vos cœurs se gonflent et se dilatent. Vous êtes uniques, expressifs, expansifs, généreux, légers et aériens ! Vous triomphez de la pesanteur... Vous êtes éternels, l'éther vous appartient !
Oh ! Oui amour ! Pour nous aimer, passons encore par les nuages !