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Sans queue

Publié le par modimodi

 EV

Pourquoi certains scribouillards s'obstinent-ils à écrire des textes "sans queue ni tête"? Pourquoi n'en n'ont-ils pas la moindre perception littéraire et restent-ils sans une salutaire réaction ? D’ailleurs, comment peuvent-ils espérer un jour, ne plus être en queue des palmarès de librairie et se retrouver en tête du classement des meilleurs ventes ?

Un écrit rédigé sans mettre en action sa tête pensante subit forcément  la peine capitale du sens. Il apparaît inepte et insensé, au point en général, d'échapper à toute compréhension immédiate comme dans le cas reconnu d'une production en écriture automatique. A. Breton en a fait l'expérience et a ouvert la voie à la poésie surréaliste.

En ce sens, dans cette circonstance particulière, aux yeux de quelques initiés, le résultat créatif est naturellement noble. Il convient alors d'émettre avec une capitale circonspection le jugement dans l'emploi privatif de l’expression d'un écrit apparemment "sans tête ".

Mais alors comment doit-on comprendre la séquante locution "sans queue" ? Si on remonte aux origines des dinosaures, dans la nuit des temps, bien avant la première écriture, on sait que ces grands reptiles qui avaient de gigantesques queues ont fini par disparaître. C'est donc que la queue ne garantit pas la survie de l'espèce !

A l'instar, une composition castratrice "sans queue" n'altère pas sa persistance. Elle peut survivre à son concepteur. Les vieux fossiles littéraires ont autant d'avenir que de passé à condition qu'on en découvre évidemment un jour, les traces paléontologiques. Le temps leur offre ainsi une ultime chance.

Il y en a d'ailleurs qui se prélassent au soleil de l'édition de Minuit ou dans les catalogues endormis des éditeurs. Comme des lézards, ils reproduisent le comportement de leurs ancêtres, les tyrannosaures. Ils ne se cassent ni la tête ni la queue, ils broutent simplement les lauriers qui n'ont fleuri que dans leur belle imagination.

Ont-ils vraiment disparu ? Les crocodiles ou dragons de Komodo semblent leur ressembler de près mais non ! Des paléontologues ont démontré, en étudiant leurs ailes que ce sont biologiquement et anatomiquement des oiseaux. Comme les mouettes, les pigeons, les autruches et les poules ce sont les dignes descendants du Vélociraptor. L’hérédité n'est donc pas dans la queue mais dans le croupion !

Dans les écuries littéraires, certains croupionnent ainsi en attendant le Goncourt ou le Renaudot. En cet instant, on comprend sans doute mieux l'expression : " quand les poules auront des dents. " Alors, prudence et modestie ! A moins d'affubler de "drôle d'oiseau", tel petit prétentieux, tel homme de plume d'oie et de cataloguer son caractère archaïque d'antédiluvien ou de juger envolé son style alerte, nous en sommes réduits à émettre des hypothèses, au risque assumé de se prendre un pan sur le bec et un grain de sel sur la queue.

Maintenant, si la plume est communément admise comme le prolongement de la main qui la guide, peut-être que celui qui rédige est accidentellement l'objet d'un dysfonctionnement sensitif, due à une perturbation de ses organes sensoriels ? D'ailleurs, s'il ne ressent rien, il ne peut pas non plus faire partie des écrivains qui prétendent avoir des démangeaisons au bout des doigts et une furieuse envie d'écrire.

Nous pourrions donc admettre le principe de la non perception par un écrivain de l'effet que produisent certains de ses écrits, sur lui-même comme sur le lecteur ! Mais alors, si notre gratte-papier y va ainsi, insensiblement de main morte, comment peut-il passer aussi facilement et haut la main, à une rédaction  jugée "sans queue"... "ni tête" ?

Absurdement, si la queue est communément admise comme le prolongement de la colonne vertébrale à son extrémité, une explication semble plausible. Il suffit de supposer qu'un grattouilleur de plume qui en aurait eu plein le dos, à force de s'éreinter sur ses pages d'écriture, aurait alors couru le risque extrême d'être arrivé à sa dernière extrémité.

On ne dira donc jamais assez combien, il faut protéger ses arrières. Tête et queue sont indissociables dans la vie !

Au bout de lui-même, incapable du moindre ajout ou prolongement d'idées, notre écrivailleur peut alors, sans s'en apercevoir fabriquer de drôles de tournures de phrases, qualifiées de "sans queue... ni tête" ! Si derechef, il n'a pas de cerveau, donc pas de moelle épinière qui l'innerve jusqu'à la région lombaire, il est de fait, rendu insensible au moindre effet stylistique qu'il suscite. 

Ainsi en est-il des nombreux gratte-papier ou chatouilleurs de plume qui n'ont pas la sensation de prêter à rire. Ainsi en est-il de bon nombre de rata-touilleurs d'idées et de mots dont ont dit qu'ils sont sans consistance, qu'ils n'ont pas de colonne vertébrale. Leurs essais sont mal charpentés, ils ne risquent pas de trouver l'invisible et l'essentiel nutritif de la littérature, "la substantifique moelle", chère à Rabelais.

La tête et la queue sont par conséquent anatomiquement et expressivement dépendants l'un de l'autre. Un homme de lettres se doit d'avoir une tête bien faite pour produire des œuvres appréciables du début à la fin. Ainsi par exemple, en est-il de la célèbre et joyeuse série, à la queue leu leu des San Antonio du génial Frédéric Dard.

Mêmes les scribes, ancêtres des moines chartreux qui ont une écriture de chat possèderaient, si l'on en croit Les Frères Jacques " le p'tit bout de la queue du chat qui vous électrise " car " ... l'esprit s'était caché là, dans la queue du chat ". Mais la souris qui passait par là s'est fait prendre par la queue. Elle aurait mieux fait de ne pas sortir de son trou, car même un rat de bibliothèque dévoreur de livres, vous dira combien il est difficile de faire son trou.

Chez les animaux, la queue est un facteur d'équilibre pour la marche, la course ou les sauts. De même, la tête de l'écrivain doit être équilibrée et stable, s'il veut livrer des récits harmonieux et des phrases bien balancées. Avec un cerveau lent, il faut malheureusement s'accrocher à la queue pour qu'un texte élève l'intérêt et emporte le liseur.

Développer une intrigue qui tourne court finit toujours en queue de poisson et aboutit par le faire frétiller et tourner en rond. En attente du dénouement, impossible de coincer la bulle sans faire des yeux ronds...

De même, accumuler des descriptions qui s'attardent sur des queues de cerises correspond à écrire pour des prunes, une pâteuse histoire du genre clafoutis, autour d'un quelconque sujet tarte. Ce sont hélas les autres qui en patissent !

Au contraire, un auteur malin comme un singe fera grimper le lecteur aux branches et le laissera suspendu par la queue pour lui cueillir les fruits littéraires jusqu'au terme de son roman. Par contre, s'il n'a pas de réussite, c'est lui-même et par la queue qu'il tirera le diable devenant la vache à lait des éditeurs à compte d'auteur. Il aura beau chasser de la queue les mouches buzzeuses des nouvelles à sensation, il se retrouvera à la queue des ventes en librairie, en train de ruminer sur le plancher des vaches.

Si un écrivain à tout crin qui caracole en tête des classements littéraires n'a pas forcément de queue de cheval, il aspire souvent à endosser la jaquette et la queue de pie pour recevoir sa glorieuse récompense. Connu comme le loup blanc, certains obsédés textuels en parlent même dans l'espoir peut-être d'en voir la queue.

malheureusement, le poète qui pêche par excès de vers au bout de la ligne noie celui qui s'est plongé tête première dans son poème. Il le laisse médusé, essayant par l'extension de toutes ses tentacules émotives d'effleurer la sonorité des rimes.

Le romancier scandaleux tient souvent son renom des casseroles attachées par la queue qu'il traîne derrière lui. Son livre connaît alors un succès retentissant, d'autant plus s'il s'agit d'un pavé.

Au grand cirque des prix littéraires, c'est après avoir bouffé de la vache enragée, que les écrivains veulent se tailler la part du lion. Hélas ! A moins d' être l'objet d'un coup de cœur, c'est parfois, la queue entre les pattes avec un air de chien battu, qu'ils repartent tourner en rond dans leur cage, bien loin des chants les oiseaux-lyre.

Il n'est jamais aisé de captiver et d'engeôler les lecteurs. Il est quasiment impossible de mesurer leur degré de satisfaction, en dehors du classement officiel des libraires. Un ouvrage sans queue en trompette de la renommée et sans tête en l'air a peu de chance de décoller. Il faut une sacrée binette pour cultiver les fleurs de rhétorique du jardin des lettres où " Voici venir les temps où vibrant sur sa tige / Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir..." Harmonie du soir. Ch. Baudelaire.

A défaut, obstinés écrivains délaissés et ignorés, restez donc résignés, en rang d'oignons comme des cultivateurs de navets et de choux gras ou en plant comme des producteurs de patates. Placez-vous dans la glorieuse file d'attente des auteurs de La Pléiade et prenez patiemment comme tout le monde... la queue de la filante comète tombant du firmament.

 

 

 

 

 

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