Lettre aux exaltés : Troubles 1
AP 1
Mes amis proches ou lointains, vous êtes tous des êtres sensibles, de chair et de sang ! Vous vibrez comme des diapasons en déchiffrant les partitions d'amour de celui ou celle qui a su faire jouer la corde sensible. Vous êtes pincés, touchés ! Le soliste rêve déjà de devenir virtuose ! Il feint d'ignorer que le désamour puisse un jour lui mettre le la.
Au fond de vous, vous sentez et ressentez ce qui vous convient et vous est profitable. Vous pressentez par intuition ou par un sixième sens, le danger ou un heureux événement. Cette réceptivité extrême, cette vibration, cet écho de votre environnement en vous, sont les ondes sismiques de votre envie d'agir et d'aimer. Elles vous motivent, font naître vos idées ou vos désirs sans pouvoir toujours les objectiver autrement qu'affectivement, comme dans l'amitié entre Montaigne et La Boétie : "Parce que c'était lui, parce que c'était moi."
Du temps perdu au temps retrouvé, êtes-vous comme Swann, aimez-vous les chambres, les églantines et les madeleines, à l'heure du thé ? Êtes-vous toujours à la recherche du baiser perdu et pas seulement de celui de votre mère !... Pauvre Marcel, qui ne put transgresser son désir de tendresse et d'amour maternel que dans l'impuissance et chez qui, la femme aimée qui avait hérité du caractère phallique de la mère, ne put jamais être possédée...
Prudence ! Certains ou certaines abusent ou peuvent abuser de vous. Ils trouvent le chemin de votre cœur dans l'intention de le rebrousser. A vous promettre de vous faire prendre votre pied, celle-là ne pense qu'à vous le tordre dans les ornières des plaisirs faciles. Elle vous met à l'épreuve, vous tombez dans ses bras mais vous tombez "mâle". De la fleur bleue au bleu à l'âme, vous marquez le coup. Vous l'avez dans la peau ! Sa sensualité, sans dessus ni dessous vous met les sens inverses, sens devant derrière. Vous en perdez la tête, vous allez en tous sens, en dépit du bon sens.
L'admiration que vous éprouvez pour un être que vous avez qualifié d'exceptionnel peut vous porter à la dévotion. L'aimer en odeur de sainteté peut vous faire tomber à genoux devant elle. Sa folle piété vous fera peut-être mettre les bras en croix ! De la violence furieuse de sa passion, elle vous fendra le cœur et vous finirez en gibet de potence comme un écorché vif au bois d'amour de son ciel de lit !
Loin de la dialectique du discours amoureux cher à R. Barthes, vous êtes dans la pratique de la maîtresse et de l'esclave. Vous en êtes cinglé et sanglé. Elle vous prend dans ses menottes et vous fouette les sangs avant de vous cravacher. Vous avez pris la voie des plaisirs fétichistes et des sens interdits. Vous traversez l'extase dans des passages cloutés.
Elle vous stimule et vous éperonne. Vous êtes un fringant fringuant, vous piaffez, prêt pour la cavalcade. Vous pensez rester ferme sur les étriers, mais le trot est trop enlevé et au premier obstacle, vous faites le grand saut et mordez la poussière. Votre écuyère avait de l'amour une perspective bien trop cavalière. La belle amazone vous a bridé et vous avez fléchi devant ses dérobades.
Dans l'existence, c'est ce que nous éprouvons qui nous bouleverse. La concupiscence peut affoler votre raison. Une grande joie et une grande douleur peuvent être poignantes ou jouissives au point d'en être exquises. Une intense ardeur est souvent dévorante comme la flamme qui exalte le feu. Combien de destinées, fussent-elles royales, s'en sont trouvé embrasées, renversées et ruinées !
Si vous êtes fougueux et lyriques, vous n'avez pas fini d'être prisonniers de vos émois et de vos emballements. Celle que vous appelez princesse vous fera peut-être don du royaume de sa beauté mais exigera de vous le faste qui sied à son rang. Il va vous falloir avoir le gousset bien garni. Et même en étant bon prince, il va vous falloir sacrément vous en laisser conter pour croire aux vertus féeriques de la citrouille !
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