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Monologue avec Diogène : Impossible amour 1/3

Publié le par modimodi

 CDC 38

Je cherche un homme !

Oh Diogène ! Du fond de cet au-delà mystérieux, entendras-tu mes interrogations et ma révolte ?

J'aurai bien voulu t'envoyer bien cette réflexion de mon esprit parcheminé. Je l'aurais volontiers confier au vent du passé et au zéphyr de la philosophie pour qu'il te l'apporte dans un tourbillon du temps !

Cher Diogène ! Allez ! Suis-moi d'un seul élan dans les bonds et rebonds de l'histoire, traverse le temps et franchis les époques !

Ce matin, une publicité a été déposée dans ma boite aux lettres, pour m'inciter à diffuser des petites annonces Surprise ! Elle avait pris pour slogan, la célèbre formule devenue proverbiale de Sophocle : "Qui cherche trouve !"

N'es-tu pas étonné, que le premier individu venu cherche ainsi facilement et sans vergogne à t'imiter, toi, Diogène de Sinope, toi, l'infatigable chercheur ? Alors que moi, au contraire, je dois faire un intense effort d'imagination pour t'imaginer et te distinguer avec le plus de netteté possible...

Oh ! Voilà ! Je te vois sur une page de mon livre d'images ! A une époque ou presse et radio n'existaient pas encore, en plein jour, sorti ivre d'absolu de ton tonneau, toi, Diogène, le hirsute au manteau de laine crasseux, à l'hygiène plus que douteuse, toi, la lanterne à la main et l’œil allumé comme un enfer, tu bats le pavé et cours dans les ruelles, en plein midi, en criant à la face de ceux que tu croises : "Je cherche un homme !" "Un vrai, un homme honnête !"

Eurêka ! Mon vieux Diogène, self- made-man du principe d'archi-made, j'ai peut-être pris moi aussi, ma vessie pour une lanterne mais je crois que j'ai fini par trouver ce que tu cherches ! Je viens de dénicher un homme ! Ah ! Certes, il n'est guère brillant, il semble plutôt, être à bout de course. C'est le dernier de tous, c'est la lanterne rouge du peloton des humains ! Je ne sais pas s'il est honnête...

J'ai trouvé un homme exténué de courir après... le temps, l'argent et l'amour ! La trilogie affirmée de la vie terrestre ! Ne seraient-ce pas des leurres et une obsédante utopie ? Car il me semble que toi qui as connu l'esclavage et l'affranchissement, tu savais sûrement bien avant moi, qu'il est inutile de courir après les illusions évanescentes et éphémères. Tempus fugit ! Tout est passager, provisoire et d'avance, peine perdue ! 

Car oui ! Courir après le temps, c'est doublement perdre son temps : le temps présent à prendre comme il vient et le temps passé qui a déjà fait son temps. C'est également ruiner son existence et ses espoirs. C'est même tout bonnement se ruiner puisque le temps, c'est de l'argent ! Je le croyais car j'ignorais que tu avais dit que " l'espérance est la dernière chose qui meurt dans l'homme. "

Oui ! Diogène ! J'ai fini par trouver un homme exténué, qui court encore et toujours après l'amour ! J'hésite à lui dire que depuis la nuit des temps, le mammouth cherche sa mammouth pour s'emmêler les défenses et que chaque mâle animal est en quête d'une gentille femelle ! Et réciproquement d'ailleurs, car les belles sont souvent plus discrètes mais non moins efficaces !

Ah ! Le bel excité ne sait sans doute pas encore qu'il est plus facile de trouver le sexe que l'amour !... Dois-je lui rappeler qu’Ève, la femme serpent a procuré à sa bonne poire d'Adam les pépins de sa belle pomme d'amour et que celle-ci devint de discorde, lors de la copulation biblique.

Toi, tu es plus radical, tu affirmes que le désir et le plaisir sexuel sont instinctifs et aussi naturels que la faim et la soif. Tu ne t'encombres pas d'interdits moraux, tu te masturbes sur la place publique. Bien qu'humain, tu adoptes la condition animale, au point qu'on t'a surnommé le chien. A propos de ce sobriquet, tu aurais affirmé : " Je suis en effet un chien, mais je fais partie des chiens de race, de ceux qui veillent sur leurs amis. "

Cet humain rencontré, qu'a-t-il vraiment appris de la vie et de ses sentiments ? De quelles connaissances dispose-t-il ? A-t-il seulement pu aborder la mythologie et la fabuleuse histoire des dieux et des héros ? Sait-il au moins qu’Éros, le dieu référent invoqué en matière d'amour n'est qu'un incroyable mutant ?

Entre la Théogonie d'Hésiode au VIII ème siècle av. J.-C. et la version d'Apulée au II ème siècle apr. J.-C., il a changé six ou sept fois de forme. Tantôt, il se présente comme le plus puissant des dieux : " le désiré au dos étincelant d'ailes d'or, semblable aux rapides tourbillons du vent ", tantôt, c'est un dieu de second ordre, issu des Ténèbres, un inoffensif joufflu aux petites ailes.

Je suis intrigué. Comment procède donc ce célèbre petit mignon, ce petit fessu, joufflu couronné de petites roses, avec son carquois et ses flèches, pour piquer les cœurs, d'amourettes souvent inodores et insensées? Comment s'y prend-il pour leur faire perdre la raison avec trois épines de la passion ?

Toi, bien sûr tu le sais, Diogène ! Mais en grand cynique, tu parcours les rues d'Athènes, en " morigénant, insultant, rageant, te proclamant citoyen du monde. " Tu livres ouvertement tes opinions et donnes tes conseils en choquant ton entourage, en l'apostrophant et en le molestant de ton bâton. Toi, le philosophe barbu que Platon nommait " le Socrate devenu fou", tu te plais à vivre dans le dénuement, en marge et en autarcie. Ton existence est " un tissu d'anecdotes scandaleuses, excentriques et provocatrices ". On en a heureusement retenu la philosophie de ta "République", la causticité de tes bons mots et l'affirmation de la liberté absolue de tout individu. Tu es un esprit libre !

Alors dis-moi, faut-il informer mon homme qui est à la recherche de modèle identificateur ? Faut-il lui conter, qu'à la fleur de l'âge, le magnifique Narcisse s'est épris d'un reflet qui lui ressemble, aperçu dans le miroir d'une source. Faut-il le désespérer en lui précisant son éventuelle future infortune ? Dois-je lui apprendre, qu'amoureux de son image qu'il ne peut saisir, Narcisse est mort peu à peu de cette folle adoration, qu'il ne pouvait assouvir. Faut-il lui dire qu'en croyant saisir la proie d'amour, lui-même n'en saisira que l'ombre ?

Cette ombre qui enveloppe les plus grands qui pensent briller de tout leur éclat. Car toi, le mendiant, qui étais en train de te chauffer au soleil, tu as osé dire à Alexandre le Grand qui t'avait salué : - " Demande-moi ce que tu veux, je te le donnerai.", - " Ôte-toi de mon soleil ! "

Devrais-je donc, décourager mon homme par le récit d'amour érotomaniaque de Narcisse et le démoraliser par l'exemple de cet éperdu de lui-même, qui en tombant à l'eau s'est profondément perdu, noyant à jamais dans l'éternité, son impossible rêve ? Dois-je l'inciter à se libérer de ses propres images, de ses tendances nombrilistes et lui montrer le chemin de l'indépendance et de la liberté sans faille ?

Ne crains-tu pas, sage Diogène, que tout cela ne console pas suffisamment notre homme de sa condition ou qu'il ne l'accable davantage ? Le poussant comme toi à choisir une vie simple, proche de la nature, dans une indigence choisie ? Car tu as préféré te réfugier dans la solitude tout en intriguant par tes attitudes, tes apophtegmes et ton apparence générale ? Es-tu devenu ainsi, à ton insu, la star incontestée des antisociaux ?

Ta lanterne nous jettera-t-elle un éclat, une lueur pour la nuit de notre ignorance ? Instruis-moi ! Dis ! Sais-tu au moins, pourquoi l'impossible amour de soi en soi ou en l'autre, contraint tout être humain à s'inoculer la maladie d'amour : en frissons, fièvre et soupirs, en langueurs et pâmoisons, en exaltation en désirs d'élévation, en transports d'ascensions, jusqu'au septième ciel ou au sommet du mont de Vénus, frôlé dans le plaisir ou dans l'extase d'abandon ?

De transes d'ivresses de Dionysos en chants élégiaques et danses de Terpsichore, de toi à moi, comme du je au nous, tous les cœurs jouent un jeu pour tomber à genoux. En chœur ou en duo, les voilà prêts à se promettre de ne faire qu'un pour assouvir leurs besoins et faire exulter leur libido ! C'est la loi de la nature : plus l'autre est du tonnerre, plus fort est le coup de foudre ! ....

Ô rage, voilà l'orage ! Rentre vite dans ta jarre à grains, dans ce qui te sert de tonneau, cher Diogène !

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