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Lettre attachante - La ceinture

Publié le par modimodi

 BAL  CONF

On ne saura jamais mesurer l'importance des petites choses, des événements apparemment insignifiants. Il en fut ainsi de ma première vraie ceinture, marquant mon entrée dans le monde des grands. Je quittais alors mes sempiternelles culottes courtes aux ceintures élastiques colorées pour enfiler un élégant jean bleu délavé.

Quelle fierté quand le vendeur me présenta un beau ceinturon en cuir marron avec une boucle métal, couleur bronze. Mais pour avoir fière allure, il m'a fallu d'abord laborieusement apprendre à le glisser dans les passants puis saisir l'aiguillon pour le pousser dans le cran prévu afin de le serrer autour de ma taille.

Par ces gestes qui me sont aujourd'hui familiers, je ne réalisais pas encore que je venais symboliquement de boucler la première partie de mon enfance et que je basculais dans "l'âge dit de raison", un nouvel entre-deux de ma vie. Un monde inconnu de découvertes disponibles s'ouvrait à ma curiosité de novice.

Tout était inédit. Il me faudrait prendre le temps de les comprendre, de les assimiler pour agir et m'engager. Tels se présentaient mes premiers pas serrés et mal assurés, à accomplir sur la route initiatique des toutes neuves responsabilités. Heureusement, ma famille aimante m'apprit à grandir, en ajustant mes envies, joignant l'utile à l'agréable sans jamais poser de barrières à mon univers d'enfant.

Outre le plaisir et les jeux, les valeurs que je garde encore aujourd'hui s'inspirent du scoutisme qui m'a offert symboliquement, ma plus belle boucle de ceinture. Ainsi, au fil du temps, mes ceinturons serviraient à accrocher mes clés, mon couteau et mon revolver dans son étui, mes prises de guerre, ma boussole et ma gourde... Elles me donnaient l'assurance de ne rien perdre et un fier statut d'aventurier. Elles me différenciaient surtout de ma sœur qui avait besoin de se balader, une pochette à la main, pour transporter ses préciosités féminines. Moi, j'avais les mains libres !

L'autre stade marquant de mon évolution adolescente fut lorsque je pus emprunter les ceintures de mon père. Soucieux de mon image, un peu coquet, j'en faisais un accessoire de mode et de fantaisie, assortissant ou tranchant les coloris avec les pantalons, élargissant les sangles ou variant les boucles. 

Je comptais ainsi rendre un peu jaloux mes copains de classe et surtout intéresser les fraîches demoiselles afin de mieux leur plaire. Premières tentatives de séduction, premiers échecs, car la concurrence des cours de récréation était rude. J'étais plus séduit que séducteur comblé.

En effet, mes bonnes amies en jupe ou en robe, aimaient à faire assaut d'élégance. Par leurs foulards, leurs ceintures, cordons, cordelières ou bandeaux en soie, qu'elles nouaient avec grâce, elles s’efforçaient qu'on les remarquât.

Je n'avais pas hélas, l'exclusivité des tentatives et parades pour les dénouer ! Nous étions nombreux à les désirer sans ne parvenir souvent à obtenir qu'une œillade, un sourire complice. Recueillir un baiser furtif relevait du rêve ou de l'exploit ! Chacune avait sa pudeur et sa ceinture de chasteté.

Quelques-uns s'en sortaient mieux que d'autres. Lorsqu'ils arboraient leurs ceintures vertes ou marrons obtenues au judo, le prestige et son corollaire, le succès leur étaient quasi garantis. Moi et les autres, n'avions alors qu'à faire ceinture et à nous coucher vaincus sur le tatami, en rêvant de leurs chutes de reins !

Ce premier apprentissage de la vie a probablement influencé mon existence d'adulte. J'ai depuis toujours, veillé à ne pas avoir à me priver et à me serrer la ceinture, sans pour autant être dispendieux ni inconséquent, en la déliant inconsidérément. L'existence vous rend d'ailleurs raisonnable, car elle vous serre la vis et vous corsète souvent de ses taxes, impôts et obligations.

J'ai encore appris qu'il faut parfois porter son dépit en bandoulière, voire même la boucler et serrer les dents. D'ailleurs le paradoxe de la sagesse vous dicte votre conduite. S'il faut être adepte de l'économie et de l'épargne, il ne faut pas économiser sa volonté ni épargner ses efforts. 

Pour remporter la compétition des apparences et des honneurs ou pour accéder à plus de bien-être, vous devez souvent avancer en rangs serrés, coudes serrés au corps. L'atavisme de la sentence populaire vous poursuit de sa morale : Est-ce que "bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée" ? Est-ce qu'"avoir une bonne réputation et être pauvre, vaut mieux que d'être riche et malfamé" ? A chacun sa taraudante réponse !

Il est donc prudent d'être prévoyant et de savoir serrer les cordons de la bourse. Car la vie exige de ne jamais desserrer sa vigilance. Il vaut mieux s'accrocher et affronter les difficultés en bouclant sa ceinture de sécurité. Rares sont ceux qui peuvent espérer une ceinture de sauvetage. Certains extrémistes de la précaution revêtent même bretelles et ceinture ! Mais personne n'évite les coups bas portés sous la ceinture.

Aujourd'hui, j'aime quand ma douce amie m'enlace et se blottit, me ceinture à la taille et m'embrasse. J'aime quand elle me presse et me serre. Je lui donne tout mon attachement. Nous ne sommes ni ligotés, ni emprisonnés, jamais à cran.

Je me suis lié à elle sans le moindre désir de me détacher ni de délier nos serments. Nous sommes soudés l'un à l'autre, en jonction étroite, en étreintes douces, en corps à corps noués. Nous sommes scellés mais libres, cœur battant, jamais serré ! Nous n'avons aucune hâte de boucler la boucle !

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