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Lettre à mon Eurydice - Orphée

Publié le par modimodi

 BAL CDC

Liras-tu cette lettre d'enfer et de damnation ?

Excuse-moi ! Je ne suis pas dans mon époque ! Je voulais être mélomane, jazzy ou rockeur ! J'aurais certainement dû jouer du saxo ou du synthé, du tambourin ou de la batterie, mais j'ai choisi de jouer de la lyre ! Ah ! Quel délire ! Oh ! Mes aïeux ! Sûrement que je me fais vieux !

Moi, qui en pinçais grave pour toi, j'aurais dû apprendre le banjo ou la guitare. Doué comme Apollon, je t'aurais promis le grand récital décoiffant des yéyés en chemises à fleurs et je t'aurais volontiers attirée contre moi pour dénouer tes couettes et tomber à la renverse.

Oh ! Je l'ai compris trop tard ! Si je voulais à ce point, faire vibrer ta corde sensible, j'aurais dû bien sûr, m'initier à la harpe. Mais non ! Je ne sais plus vraiment pourquoi, j'ai fait ce choix bizarre… Je me rappelle simplement que ce jour-là, il tombait des cordes…

Était-ce en pensant à tes yeux de pluie ou en voulant accompagner tes mélos, dis ? Était-ce pour imiter la parade et le chant de l'oiseau-lyre, que j'ai fini par opter pour cet instrument ? Ai-je confondu guitare avec cithare et flûte avec luth ? Je m'interroge encore, j'ai un orphéon dans la tête qui me fait un boucan d'enfer.

En ce temps-là, rappelle-toi, ma bien aimée, je faisais au milieu d'éphèbes, mes humanités gréco-latines. J'étais un rhapsode virtuose, le pseudo créateur du tube "Rhapsody in Blue", que notre groupe : "En avant la zizique", donnait le week-end, en concert de cithares, avec cymbales et solos d'aulos et de syrinx, au pied du Parthénon. 

J'étais un barde hellène au récital de poèmes homériques. J'étais l'aède des calanques grecques pour les belles baigneuses, dont tu faisais heureusement partie. Je n'étais pas le plus bel Apollon, mais avec toi, ma talentueuse aulète, j'ai bien vite appris, en duo, à tenir la note. En chœur, nos cœurs battaient en harmonie et en cadence de souffle et de soupirs. Nous nous aimions sur toutes les gammes des chants de libations et de leurs musiques joyeuses, voluptueuses et bachiques. Alors, avec beaucoup de doigté, je t'ai invitée aux délices de la grande Odyssée. Nous étions prêts à vivre ensemble les plaisirs de l'aventureuse épopée de l'amour.

Hellas ! Manque d'inspiration élégiaque ! En guise de poésie déclamative, je n'ai su que te chantonner une espèce de ritournelle accompagnée à la lyre et au tamtam :  bourre et bourre et rata ! Tam ! Piques épiques et collé drame ! Tu me piques à mon grand dam !

Au banquet de l'amour, la table est bien vite desservie. Tu te tends comme une corde de lyre et fait retentir la discorde. Tu m'apostrophes à la moindre strophe ! Nous sommes à hue et à diatonique. Tu t'irrites au quart de ton. Nous ne nous aimons plus qu'en contrepoints, à contre cœur. Sans commune mesure, tu prends tes iambes à ton cou.

Triste pantomime, je tire une vilaine mimique ! Aie ! Aie ! Aie ! Pour le barde, ça va barder ! Le satyre va encore frapper ! L'aède criera à l'aide, en gémissant ses plaintes ! Bas les masques, ma comédienne ! C'est une vraie tragédie, une terrible et mythique descente aux enfers !

Oh oui ! Je ne me méfiais pas assez. Tu étais mon rêve éveillé de beauté. Tu m'avais enchanté. L'époque était heureuse, je fréquentais Hypnos et t'aimais, les yeux fermés. Mais oh ! Funérailles ! Mortelle destinée ! Toi, pauvre de moi, tu avais comme meilleur ami Thanatos, son frère !

Je le reconnais humblement dans ce déplorable aveu. Bien sûr que je t'aime à mort mais tu n'avais nul besoin de me faire vivre un véritable enfer… Comment pouvais-je m'en sortir ?…

Je ne le savais que trop, seule, la musique adoucit les mœurs. Dans cette "nuit de mai" parfumée, Musset lui-même, me l'avait suggéré : "Poète, prends ton luth et me donne un baiser." 

J'empoigne donc ma lyre pour t'adoucir, ô muse. Je suis devenu le nouvel Orphée. Avec la permission d'Hadès, j'accours à un train d'enfer pour te retrouver mon Eurydice et te ramener au jour d'un amour de pleine lumière, de paix et de raison. La force de mon chant doit te guider pour sortir de ta colère noire et des profondeurs des ténèbres. Je te déclame : "Entends le chant de ma lyre / Oublie tes affres, tes délires / Cesse de broyer du noir / De me mettre au désespoir." Danse avec moi, "le ballet des ombres heureuses".

J'invoque nos hymnes adressés aux dieux, je te remémore les jeux pythiques et nos victoires musicales couronnées de lauriers. J'évoque les mélodies du paradis perdu. Je te promets des danses au son de la musique des anges au milieu des torches antiques, des halos et des auréoles séraphiques. Mais, j'ai beau essayer d'être lyrique, pas d'effets, pas d'émois ! Ah ! Pardonne-moi, tendre Eurydice, tous les musiciens et tous les poètes ne parviennent pas à être Orphée.

A peine, sortie du souterrain, tu ne prends pas le temps d'obtenir des éclaircissements. Remontée avec nos discordes, toi, ma belle de clair-obscur, tu continues de voir tout en noir. Ah ! cruelle déception, Eurydice n'est absolument pas la douce déesse exaltée par le Mythe et l'opéra de Gluck. Notre réunion fait à nouveau des étincelles. Oh ! Infernale furie, tu ne tardes pas à me lancer tes foudres et tes lasers.

Que peut faire une lyre face à une crécelle ou à la polyphonie de tes crincrins ? Nous n'avons plus d'accord parfait, nos accords n'étaient que plaqués. Le temps n'est plus à la romance mais à la fugue.

La désastreuse réalité s'impose à moi. Je reviens sur terre… Mais j'ai à peine le temps de me retourner dans le verger d'Éden que déjà, tu t'éclipses avec un joueur de flûte, un rusé charmeur de serpents à sornettes, rencontré au pied d'un pommier.

Ton pauvre Orphée désenchanté doit sur le pré abandonner sa lyre. Inutile de me lamenter, mon chant d'oubli et de remords retourne au silence. Adieu les instruments à cordes et les vibrations de l'amour ! Vive les instruments à vent ! Belle Eurydice, malicieusement, je me console en pensant que tu auras droit au pipeau et à la bombarde, au biniou et aux cornes, Muse !

Moi, si retiré dans le Sud, je me suis éloigné de "la vie parisienne", si je ne danse pas le French Cancan, j'écoute quand même le cœur léger, "Orphée aux Enfers" d'Offenbach et le rythme endiablé de "son galop infernal"...

Les yeux mi-clos, en écho télépathique avec Toulouse Lautrec attablé au "Moulin Rouge", je prends la main de ma danseuse et je m'exclame plein de gaité : "Je t'aime à la folie, bergère !"

Hé ! M'entends-tu donc enfin, mon Eurydice, mon cher supplice ?

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