Lettre d'ententes : Pour ou contre
CDC 56
Mon bel amour, dans l'existence comme en amour, il n'y a pas que les autres qui nous chagrinent et nous contredisent. Nous pouvons aussi être en opposition avec nous-même, chaque fois que nous hésitons et balançons entre deux thèses, deux arguments, deux élans du cœur !
Quand les mots se font la guerre des sens sous la plume en suspens, ils dessèchent d'encre tarie dans le puits de l'encrier. Quand les idées se battent en duel pour la cause de la juste expression, elles ne produisent que des cliquetis de ferrailleurs. Comment réagir quand notre conscience est mal en point et nos sentiments pas au point ? Quand de la rose, nous n'observons que les épines ou que nous ne percevons plus que la suavité de son parfum évanescent dans l'offrande désespérée d'un mourant baiser.
Pour les autres comme pour nous-mêmes, nous représentons parfois un frein à la résolution d'un problème, un obstacle à sa perception, notamment quand nous manquons de points de vue, clairement établis. Nous nous montrons d'autant plus pointilleux que nos démonstrations ne sont pas vraiment au point. Fakirs de la pensée en pointe, nous nous prenons la tête en nous clouant les deux hémisphères.
Dans l'impasse de nous-mêmes, nous nous trouvons même au point de non-retour quand nous mettons un point d'honneur à nous obstiner, alors que nos déductions ont la dialectique en contrepoint. Comment alors s'étonner que les commentateurs ne soient que de sombres métaphrastes qui ne traduisent qu'avec erreurs !
Nous ralentissons également, voire paralysons notre propre jugement, chaque fois que notre entendement crée ses propres objections, voile les lueurs de l'intuition ou dépose les armes de la déduction. Nous nous disons quelquefois qu'il ne sert à rien de se battre pour quelques fruits talés ou de chétives queues de poire de la discorde mentale, pour au bilan ne récolter que prunes ou nèfles !
Nous affichons encore un bel esprit de contradiction et parfois, nous contrarions les autres en réalisant tout le contraire de leurs attentes. Sans arguments et sans faire le poids, certains, à la légère, font ainsi contrepoids. C'est d'ailleurs un vrai fléau, quand quelques tarés mettent en balance nos pensées et font le poids mort dans la discussion ! Ce sont parfois des gesticulations de cirque ou des cris et mimiques de zoo quand ceux-là nous singent, s'estimant malgré tout, valoir leur pesant de cacahuètes !
Tenons-nous éloignés de ceux qui fraudent avec la raison, de ceux qui voudraient nous faire faire bande à part ou contrebande d'idées, dans le fumeux espoir de faire un tabac ou de nous faire pétuner ! Fuyons ceux qui perdent la mesure de toutes choses, ceux qui se foutent du tiers comme du quart, ceux qui s'en contrefichent mais qui nous contrecarrent pour le plaisir de nous contredire !
Tenons-nous loin de ceux qui nous brossent dans le sens du poil aussi bien que de ceux qui nous prennent à rebrousse-poil. Demeurons très loin de ceux qui nous hérissent ou nous décoiffent en argumentant à contresens, en coupant les cheveux en quatre ! Maudits critiques, passés de contemplateurs à contempteurs, de louangeurs de grand tribun à Trissotins pédants de la diatribe hypocrite !
Il nous revient instamment de cultiver l'optimisme et d'avoir une attitude constante, de ne pas nous laisser désoler par les esprits chagrins des Zoïles réincarnés comme par tous les bilieux qui broient du noir. Nécessairement, il convient de ne pas nous laisser envahir par ceux qui sèment des soucis et du mouron dans les fleurs de nos pensées ! Repousser les prêcheurs de contrevérités, les faux ténors qui se poussent du col et qui se prennent pour de la haute-contre ! Rabaisser ceux qui nous prennent de haut et s'élèvent contre nous. Répondre à coups de plumes à ces maudits oiseaux de mauvais augures, à ces petits serins au chant criard, aux becs jaunes comme leurs rires sarcastiques !
Certes, il n'est pas facile de tenir le haut du pavé, quand on est en contrebas. On ne peut pas toujours accuser Voltaire d'être tombé par terre ou accabler Rousseau d'avoir le nez dans le ruisseau. Il faut savoir tenir son rang et être bien rangé comme les caractères sur le clavier et les pensées dans la tête. Il y a lieu de marcher ou de rouler au pas de la raison sans perdre le bon sens et de ne pas contrevenir au code de bonne conduite. Tout doux ! Sinon, c'est la contredanse assurée et le contre-pied de nez d'un procès verbal garanti par le dernier Aristarque.
D'ailleurs, mon cher et brillant esprit, nous savons toi et moi, que le monde des idées est parfois une épreuve de travaux forcés et l'injuste condamnation de devoir ramer sur une vraie galère. Il n'est pas donné à tout le monde de se tenir à flots, contre vents et marées, de nager à contre-courant de la facilité, en tenant crânement la tête hors de l'eau et fièrement le porte-plume hors de l'encrier ! Il n'est pas aisé de faire partie de la crème littéraire quand on ne compte que pour du beurre !
Il n'est pas évident de briller et d'être en conjonction même lorsqu'on est l'un et l'autre, comme l'eau et le feu, comme le jour et la nuit. Il n'est pas aisé de garder la même ardeur quand, à tour de rôle, chacun souffle le chaud ou le froid !... Mais nous, ma douce, nous avons heureusement pu être bouillants sans finir échaudés. Nous nous tenons en face à face mais pas en volte-face. Ô délicieux plaisirs ! Après chaque envol, nous nous aimons à pile ou face.
Nous ne rebroussons pas chemin sur la voie de notre amour. Aucun obstacle majeur ne vient nous barrer la route ! Par grand bonheur, toi, tu es pour la concorde, la paix du cœur et du ménage et moi, je file droit dans la rectitude de notre vie commune ! Nous sommes de tempéraments, compatibles. Nous supportons sans nous agresser la contradiction. Tu as l'esprit incisif, du caractère et du chien ! Je suis mordu de toi et par bonheur, tu n'as pas de dent contre moi.
Fidèle et généreuse, tu emplis jour après jour, ma corne d'abondance de menues et délicates attentions. Tu offres une débauche de sens et de câlins à mes petits mots d'écrivain ! En veux-tu, en voilà ! Toi, tu me combles de beauté et d'intelligence. Aucunes stupides contrariétés. Jamais anti, je suis nanti. Si tu résistes parfois jamais tu ne te refuses ! L'amour est à la fois dons et échanges. Tu es mon plein plaisir des sens, ma volupté à pleines mains ! Si de ma plume coquine, je t'ai frôlé la croupe hier, je te la flatterai aujourd'hui !
Au fond, mon Augustine, mon petit loup des Lupercales, pour nous, c'est un peu chaque jour la Saint Valentin ! Tu es tout pour moi, quand je me tiens contre toi. Nous ne menons pas bacchanale, notre débauche est de volupté et de caresses... Et même, un jour d'épines est un jour de roses ! Pas de contre cœur ou de contre-amour mais d'insensés plaisirs et de jouissifs délices à l'endroit contre moi puis à l'envers aussi ! Contre, tout contre ! Toute en accords, en corps à corps !
Notre amour est à livre ouvert ! Nulle envie de tourner la page !