Le factice
EV lecteur 29
Ô mes contemporains, quel pataquès !
Bigre ! Bigre ! Les grands mégalos dogmatiques et leurs charniers à ciel ouvert, nous ont convaincus de la tyrannie de l'utopie et du caractère terroriste de la vérité. Depuis nous vivons l'ère du vide, de la violence en crue, des crises économiques et de la faillite des idéologies des états providence.
Parallèlement dans la surabondance du mauvais goût, avec la recrudescence du faux et des apparences, nous nous laissons posséder par les désirs de l'éphémère et du sensationnel. Sous l'emprise de la passion du factice, du simili et du simulacre, le trompe-l’œil ne cesse de nous faire des clins d’œil.
Oh ! Même si nous savons bien que " Tout ce qui brille n'est pas or", nous nous illusionnons nous-mêmes en croyant donner l'illusion. Parlons-nous précieusement d'or, quand nous affirmons que le silence est d'or ou que celui-ci a un cœur d'or ? Avons-nous vraiment trouver le filon ou simplement amalgamons-nous les alliages de mots ? Midas renaît sans cesse en chacun de nous, le vocabulaire de nos idées est notre Pactole et nos pensées tissent la nouvelle Toison d'or ! Nous sommes riches d'illusions et moi-même, je cache mes oreilles d'âne sous le bonnet rouge que le grand Victor a accroché au dictionnaire.
De tout temps fasciné par la magie de l'image et du verbe, l'homo mediaticus n'en finit pas de se prendre au miroir aux alouettes de la synonymie comme de la duplicité et de la duplication. Il imite, plagie ou parodie, il copie ou il fait semblant. Tricheur et truqueur autant par son désir de se singulariser que d'appartenir par le look à un clan, il choisit les signes de reconnaissance de sa tribu.
C'est humain ! Nous désirons tous être connus ou reconnus et qu'on ne nous oublie pas. Nous sommes comblés ! La vogue comme la vague du faux et du jeu déferlent d'ailleurs sur nos mièvreries publicitaires et rousseauistes qui prônent le retour à la nature. Nos lessives sont lavées plus blanc que blanc, sur fond de champ de blé ou de cascades aux chants d'oiseaux. Sur " Les quatre saisons " de Vivaldi, les changes nous font des risettes célébrant le printemps de la vie.
Avec " La truite " de Schubert dans son iPod, la nana qui connaît moins oncle Vania que sa périodicité féminine s'en tamponne sous forme d'activités sportives intenses. Les dessous de bras et les aisselles qui ruissellent, sentent les embruns vanillés d'îles exotiques ! Vivre sur les dents toujours éclatantes, manger sain et bio sont les valeurs refuges de la bonne santé, vendues artificiellement sur fond de carton-pâte et trompe-l’œil écolo.
Mais rien n'est vraiment nouveau ! Tout est déjà dans la nature. L'homme n'a rien inventé. Les oiseaux donnent la parade nuptiale ou amoureuse. Pour séduire, l'homme, ce drôle d'oiseau qui promet le paradis, joue comme il peut de son dimorphisme sexuel et glandulaire. Il met ses plus belles plumes colorées, gonfle son jabot ou sa crête au gel béton et se pavane devant l'oiselle sous les sunlights ! Il roucoule ses chants les plus mélodieux, pousse des cris les plus sonores et saute et danse en ondulant du croupion chatoyant et irisé dans les éclats fluo de la boule à facettes.
Il déploie ses arguments et ses courbettes, il vibre en harmonie discrète ou se donne en spectacle, sous forme d'acrobaties ou d'affirmation de sa testostérone. Tout en s'offrant, il fait offrande d'envolées énamourées ou sussurées pour mieux convaincre la douce et belle femelle. Il espère, il attend la première prise de bec. Pour conclure, il ira même lui promettre un futur nid douillet.
Et moi-même? Au sortir de l'encrier, que fais-je d'autre que parader en écrivant et en agitant ma plume ? D'un battement d'aile, je crois vous emporter. Je joue de l'art du leurre et du factice. Que ne tentai-je pas à mon tour de séduire, d'attirer n'importe quel lecteur hermaphrodite de cette complaisante littérature…
Oui ! J'ai bien dit et écrit : "con, plaisante" ! D'ailleurs, la preuve m'est souvent donnée, lorsque j'obtiens l'effet inverse de par mon style trop gonflant ou trop ébouriffant. Je prête à rire à gorge déployée pour celui qui met les voiles.
Je suis mon propre faux-semblant d'aimer, de partager et je fuis pas à pas et mot à mot. Ma création me nargue et m'échappe. Ce qui me paraît original n'est peut-être qu'une pâle copie. J'imite le talent sans jamais l'égaler. Je m'illusionne. Je fais semblant sans chercher à simuler mais entraîné dans le simulacre. Je me rassure provisoirement en pensant alors que ma planche de salut est dans l'insignifiance de mes écrits et de votre légitime manque d'intérêt, malgré le factice de mes feux d'artifices.
Poésie et philosophie sont souvent mes garde-fous pour éviter les pièges de moi-même et de mes semblables. Quand je cherche à comprendre, E. Lévinas m'apporte sa réponse. Si la relation à autrui est asymétrique, la relation à l’œuvre que je contemple est un face à face entre l'être que je suis, vivant et animé et ce qui s'apparente au néant, à l'art brut de toute œuvre figée dans sa beauté intemporelle.
Bien sûr, rien n'empêche que certaines créations que je contemple et scrute m'interpellent et dépassent mon simple regard qui se perd et se jette dans le vide sans pouvoir pour autant déchiffrer l'inconnu. Le mystère garde à jamais le secret de l’œuvre.
Oui ! Mes bons compagnons de lecture et d'écriture, chaque visage rencontré et observé est offert dans son dénuement. Aucun ne peut à lui seul faire sens en vous en dehors de votre propre perception et de votre participation émotive. De même, chacun de mes textes est ainsi un visage d'encre offert à votre vue et à votre regard intérieur !
Il n'y a pas d'ambivalence dans cette conversation muette, de la tablette, du livre à mes lecteurs, uniquement parfois, dans mes intentions ! Égoïstement, je me convaincs qu'il n'y a rien de possible dans la rencontre avec l'autre comme dans la contemplation d'une œuvre en dehors de ma propre volonté. J'en suis donc responsable, ma subjectivité ne peut m'en dédouaner. Le reste n'est qu'arrangement avec le ciel et soi-même. "Aide-toi, le ciel t'aidera !" Non ! Le ciel ne saurait mentir… Je peux toujours tenter ma chance auprès de vous.